IAN HAMILTON FINLAY, « A MAN OF LETTERS », FLORENCE LOEWY

Ian Hamilton Finlay, A man of letters – Galerie Florence Loewy – du 2 juin au 28 juillet 2018 – Vernissage 2 juin 18h.

1. Constitué d’éclats, de bribes, de traits, de citations, l’univers visuel de Ian Hamilton Finlay est résolument fragmentaire. Ce morcellement n’est pas à comprendre comme le constat nostalgique d’une unité et d’une vérité perdues, mais plutôt comme la défense et l’illustration du fragment opposées à une conception spéculative et totalitaire de l’univers. Voués au fragment, ses poèmes-sculptures-éditions-installations restent cependant aimantés par la question du style : le fragment opère par décantation, distillation ; il épure, taille, incise…

2. L’art fragmentaire de Ian Hamilton Finlay est équivoque. Il laisse ouvertes les contradictions qu’il met en œuvre plutôt que de tenter de les résoudre ; il les laisse se déployer dans leur irrésolution et leur ambiguïté. Ainsi, en filigrane du sinistre emblème SS se profile l’élégante figure mêlée d’Apollon et de Daphné. A la place de l’énigmatique tombeau des Bergers d’Arcadie de Poussin, se dresse un fantomatique Panzer, à la fois menaçant et dérisoire.

3. Cette manière de trouver le semblable dans le dissemblable, de faire affleurer la disparité, l’erreur, le défaut, au cœur d’un monde soucieux et jaloux de son intégrité, de son homogénéité et de sa transparence, ne peut que déstabiliser les valeurs et les hiérarchies établies. Elle est une manière corrosive, insolente et souvent cruelle de donner à voir comment les valeurs de notre monde et de notre culture se trouvent minées et hantées par des intensités qui n’osent le plus souvent pas dire leur nom.

4. Inlassablement, Finlay traque les défaillances et les manquements de ces « grands et généreux idéaux » (nature, culture, vérité, liberté, fraternité …) sur lesquels sont bâties nos évaluations politiques, morales et esthétiques. Pour chacun, il fait la démonstration que ces idéaux ont partie liée à leur contraire, qu’ils se font, souvent à leur insu, les complices d’un monde que précisément ils nient : terreur, servitude, guerre… Qu’à l’inverse, ces mêmes valeurs négatives portent elles-mêmes la trace et le vestige d’une idéalité, sinon perdue, du moins travestie. Toute médaille a son revers qui n’est pas toujours celui que l’on croit : le temple dissimule souvent une guillotine, la nature est une construction de notre culture, et réciproquement. La paix, comme le dit Clausewitz, est la continuation de la guerre par d’autres moyens.

5. Le jardin philosophique de Little Sparta à Stonypath que Finlay a élaboré de 1966 à sa mort cristallise toute la pensée paradoxale de l’artiste, car il est le lieu d’une utopie, c’est-à-dire stricto sensu d’un « non lieu ». Lieu de fiction et de désenchantement, jamais les retrouvailles de la nature et de la culture ne s’opérent autrement que sous le mode du camouflage. « Chaque style en art est un camouflage au travers duquel, par notre propre reconstruction, nous pouvons voir la « vraie nature ». »

6. Finlay brouille le schéma historique et formel qui distingue pour le néo-classicisme une phase ascendante et triomphante (le XVIIIe siècle) et une phase déclinante et décadente (les années 30-40). Ces deux formes du néo-classicisme sont portée par une double utopie : l’une progressiste et lumineuse (la Révolution française) ; l’autre destructrice et nocturne (les régimes totalitaires européens des années 30). Finlay complique à l’envi cette antinomie. La Révolution française n’est-elle pas en ce XVIIIe siècle finissant le lieu d’affrontement cruel et impitoyable de l’ombre et de la lumière. La figure emblématique de Saint-Just ne montre-t-elle pas une certaine compatibilité de la terreur et de l’élégie, de la révolution et de l’élégance ? « Il y a, remarque Finlay, deux aspects à la Révolution française : l’épique et le domestique, la guillotine et la théière… »

7. Les œuvres de Ian Hamilton Finlay s’inscrivent de manière intempestive au cœur des débats contemporains du modernisme/postmodernisme. Sa démarche s’inscrit en faux contre une conception cyclique du mouvement des idées qui voit alterner les moments avant-gardistes aux moments de « retour à l’ordre ». L’avant-gardisme est aussi, pour Finlay, un militarisme ! Dans la conjoncture idéologique de l’après-guerre froide où les règles semblent pipées d’avance, l’artiste se refuse de choisir, laissant dangereusement se déployer son œuvre dans un équilibre précaire. Finlay est en effet trop lucide, trop romantique, trop distant, trop passionné, trop absolutiste, trop relativiste, pour ne pas savoir, à l’instar de Jorge Luis Borges, combien est ténue la distance entre le traître et le héros.

Bernard Marcadé

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