LA 58e BIENNALE DE VENISE OUVRE « UNE EPOQUE INTERESSANTE »
Posted by marcroudier on 8 mars 2019 · Laissez un commentaire
58e BIENNALE DE VENISE – « May You Live In Interesting Times » – commissaire Ralph Rugoff – 11 mai – 24 novembre 2019, Venise.
Puissiez-vous vivre à une époque intéressante, c’est en substance, ce que visiblement souhaiterait le curator nommé pour cette 58e Biennale d’art, Ralph Rugoff, édition une fois encore placée sous la présidence de l’omniprésent Paolo Baratta. Le titre de cette 58e édition peut d’ailleurs prêter à de multiples interprétations, suggérant que cette « époque intéressante » peut être lue comme faisant allusion à la difficulté et l’incertitude de notre temps contemporain, soumis à toutes sortes de menaces climatiques, guerrières, religieuses bref à un moment particulièrement inquiétant pour notre « nouveau monde ». Mais selon les postulats de Baratta, et ce depuis 1998, année de son entrée en présidence, la Biennale se doit d’abord à l’ouverture tout azimut, aux idées, aux expressions, à l’altérité. Une biennale « ouverte », donc, digne miroir de la diversité artistique, intellectuelle et civilisationnelle de notre monde contemporain.
Rugoff a selon ses propres propos été largement inspiré par Umberto Ecco et a placé symboliquement sa Biennale sous les auspices de la pensée de celui-ci. Une Biennale qui, selon ses dires, « se concentrera sur le travail d’artistes qui questionnent les catégories de pensée existantes et nous ouvrent à une nouvelle lecture d’objets et d’images, de gestes et de situations. Un art similaire découle de la propension à observer la réalité de différents points de vue, c’est-à-dire à prendre en compte des notions apparemment contradictoires et incompatibles « .
Pour le commissaire de la 58e édition, qui l’été dernier posait que » à une époque où la diffusion numérique de fausses nouvelles et de » faits alternatifs » sape le débat politique et la confiance sur laquelle il se fonde, il est utile d’insister, si possible, sur la remise en question de nos repères « , « Cet art n’exerce pas ses forces en politique, mais peut enquêter sur des choses dont nous n’avons pas encore conscience« . Pour lui, l’Art serait donc un medium efficace d’auscultation du pouls du monde, un observatoire critique de la réalité du théâtre humain et de ses avatars. Au moment où « les oppositions extrêmes, les divisions et les nationalismes » occupent le terrain international, où les fakenews et les réseaux sociaux se substituent à la presse pour instiller « l’information » fallacieuse et trompeuse en lieu et place des médias professionnels, l’Art apporterait non pas une réponse, mais une « réplique » témoin, tout du moins un miroir plus ou moins pertinent, plus ou moins déformant, plus ou moins « prophétique » même -Chi lo sa?- de la réalité, dont la « vocation » serait d’amener le regardeur ou le commentateur à s’interroger sur le dérèglement chaotique du monde tout en se repaissant de sa mastication.
Du coup, cette 58e édition présentera non pas un thème unique, une bannière commode derrière laquelle abriter toutes les expressions de la contemporanéité, mais un choix de micro-questionnements sur des sujets très ciblés et symboliques de notre époque comme par exemple les murs, le genre, l’identité, autant d’incursions dans les « catégories » -dixit Rugoff- de notre réalité contemporaine qui n’ont de cesse de travailler les activités humaines et l’art en particulier. Ce sera donc une Biennale qui « portera l’accent sur l’art qui (lui-même) fait partie des catégories » et mettra en exergue un art qui s’interroge et nous interroge, impliquant le public comme l’opérateur dans une inter-relation puissante. Une manifestation qui, toujours selon le commissaire, repose sur l’idée de conversation « d’abord entre l’artiste et l’œuvre d’art, puis entre l’œuvre d’art et public, puis entre différents publics « .
Au-delà de ces considérations éthiques et politiques, la 58e Biennale d’Art se présente comme toujours comme le lieu des surenchères et de la pléthore d’artistes et d’expositions : 79 artistes dans les pavillons des Giardini, 90 représentations officielles dont quatre nouveaux arrivants, Pakistan, Algérie, Madagascar et Ghana, une multitude d’événements et d’expositions collatéraux partout dans Venise font de cette manifestation un moment incontournable de la vie artistique, et dans quel écrin !
On sait que Laure Prouvost, anversoise dorénavant, représentera la France dans le pavillon français des Giardini, avec son travail atypique. L’artiste française, titulaire du prestigieux Turner Prize en 2013, bénéficie d’ailleurs actuellement d’une belle exposition monographique au M HKA, le grand musée d’art contemporain d’Anvers. D’autres grands pays ont envoyé « le meilleur » – paraît-il- de leurs troupes pour les représenter, ce qui n’est pas le cas de tous, la Belgique par exemple faisant l’objet depuis l’été d’une virulente polémique quant au choix discutable des deux artistes qui la représenteront.
Comme toujours, une ribambelle de pays, 90 au total, auront leur pavillon, car la Biennale est d’abord et depuis toujours le lieu de grandes manoeuvres diplomatiques. Ce qui conduit la direction à inclure des représentations improbables, sans véritable background d’art contemporain ou presque, dont le moins que l’on puisse dire est que les artistes invités ne sont pas toujours, loin s’en faut, à la hauteur de la manifestation. Et visiter ces obscurs pavillons dans de curieux « hôtels particuliers » délabrés, nichés en fond de cour et disséminés dans toute la ville relève du sacerdoce, même si cette expérience touristique permet de découvrir Venise sous un autre éclairage… Quant à la représentation vénitienne, on en connaît hélas que trop l’approximation, pour ne pas dire l’indigence, qui la caractérise depuis qu’elle existe. Mais, chut, tout cela est encore de la diplomatie. Après tout la Ville qui accueille si généreusement et depuis si longtemps cette foison de biennales d’art, de danse, d’archi, de théâtre… a bien le droit de faire plaisir à ses artistes vénitiens.
Outre Prouvost, on notera parmi les artistes les plus intéressants de leur génération, représentant leur pays, la présence de l’anglaise Cathy Wilkes, elle aussi titulaire du Turner en 2018, les deux artistes suisses queer Pauline Boudry et Renate Lorenz qui font honneur au concept d’ouverture à l’altérité cher à Baratta, l’Autrichienne Renate Bertlmann qui représentera son pays dans le pavillon dédié avec un travail lui aussi très engagé et genré, l’Allemande Natascha Sadr Happelmann, la Pakistanaise Naiza Khan, la Sud-Africaine Tracey Rose, la Lettone Daiga Grantiņa ou encore les Brésiliens Bárbara Wagner & Benjamin de Burca… En revanche, certains pavillons n’ont guère pris de risques, à l’instar de la représentation américaine qui envoie un Martin Puryear, sculpteur très classique qui ne dérangera personne. Faut-il y voir la patte conservatrice du président Trump ?
Mais ne boudons pas notre plaisir : cette manifestation internationale est bien la plus grande exposition d’art au monde -et encore la plus belle, car inscrite dans une ville magique et mythique, que l’on souhaiterait éternelle. Un moment indépassable de la vitalité artistique mondiale et une occasion unique de s’y confronter dans la plus extraordinaire des cités de l’art.
Marc Roudier
Images: 1- conférence de presse de la 58e Biennale / 2- Cathy Wilkes / 3- Renate Bertlmann / 4&5- Pauline Boudry et Renate Lorenz / 6– Naiza Khan / 7- Les Giardini
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