« HORS-SUJET » : UN DEPLACEMENT DE LA PHOTOGRAPHIE VERS D’AUTRES CHAMPS DE L’IMAGE

horssujet

« Hors-Sujet » – Plateforme, Paris – Jusqu’au 17 novembre 2019.

L’année dernière eut lieu la Biennale de l’image Tangible, un parcours artistique dans le 20e arrondissement de Paris. Au travers de plusieurs expositions, cet événement artistique a permis de faire découvrir un panel de pratiques où se révèlent multiples relations à l’image. La photographie se voit émancipée de l’appareil et les artistes usent de nouveaux médiums pour dépasser l’acte de la prise de vue, combiner des techniques et développer un autre rapport au temps de création de l’image.

Pour annoncer la prochaine Biennale, l’exposition « Hors-sujet » réunit les artistes Matthieu Boucherit, Caroline Delieutraz, Juliette-Andréa Elie, Laure Tiberghien qui mènent des expérimentations de ce médium et ne travaillent plus la photographie comme sujet premier. Au contraire, ils vont au-delà d’une photographie comme empreinte du réel. Il s’agit plutôt pour eux de redonner une place au geste, au temps de création pour convoquer une nouvelle relation aux images.

Le titre choisi « Hors-sujet » évoque la disparition du référent de l’image au profit d’un travail sur le support pour ouvrir vers de nouveaux processus, entremêlements de techniques et déplacements du procédé direct de la prise de vue vers divers gestes. Les différents volumes de Plateforme, espace d’exposition, accueillent des œuvres qui impliquent de prendre un temps nécessaire pour déceler la richesse du travail manuel et les approcher pour saisir leur caractère plastique.

Laure Tiberghien se joue des procédés de développement de l’image. Le papier prend une grande importance dans sa pratique artistique. Elle ne s’affirme pas photographe mais utilise les procédés de la photographie pour créer des images de couleurs et de lumière. « Je conçois mes images comme des images concrètes, prises du réel mais construites de toute pièce. Ces pièces ont la particularité de rendre l’invisible visible à l’aide d’éléments physiques. Les photons de lumière, les particules de poussière, les ondes, etc.. sont des éléments qui sont retranscrits sur la surface sensible du papier. Bien que ce soit une interprétation c’est quelque chose de concret et de physiquement présent. Il n’y a pas de réelle invention mais en contradiction à cela j’aime beaucoup parler de l’archéologue car on le définit comme un inventeur. Il faut imaginer pour supposer qu’un objet existe à un endroit précis. Imaginer est de l’ordre de l’invention. Je vois donc la photographie comme une archéologie de l’image. » affirme-t-elle pour définir son processus de travail. Aussi, différents temps lui sont nécessaires pour créer ses compositions colorées. L’artiste précise : « Le temps pourrait être mis en relation avec l’image en mouvement puisque je suis toujours en va et vient avec l’objet exposé sur le papier pour donner un effet de vibration et de gestuelle au résultat final. »

Les Vagues de Caroline Delieutraz présentent un assemblage de puzzles issus d’images de vague ou de tourbillon. Cette superposition de couches de matières d’images compose une sculpture où s’entremêlent nombreux référents, nous proposant une perte de repères et nous incitant à recomposer mentalement ces paysages en mouvement. L’artiste s’intéresse au flux d’images, de diverses natures et provenances qui circulent grâce à internet et cherche à révéler ce que nous percevons à travers ce flot. « Dans « Les Vagues », j’ai tenté de figer un mouvement. À la vitesse de circulation des images s’oppose le temps long d’une pièce fabriquée à la main. » explique-t-elle. Elle préfère parler d’ « espace tangible par rapport à l’espace de l’écran. » précisant qu’il faille repenser l’opposition réel/virtuel.

Juliette-Andréa Elie développe un travail entre le dessin, la sculpture et la photographie pour donner une plasticité à l’image. Elle combine des images de différents paysages, pris à divers moments de sa vie : ses œuvres incarnent ainsi un long processus, grattage, poinçonnage, superposition voire découpe des tirages. « Je crée des photographies-objets où la surface de l’image n’est pas plane. » affirme-t-elle. Celles-ci invitent à établir des connexions entre plusieurs lieux qui s’enchevêtrent. On descelle alors « les transformations du monde, passées ou à venir. »

Matthieu Boucherit utilise des images choc de la presse et en efface le sujet faisant naître des couleurs pâles. En regardant l’ensemble d’images format cartes postales présenté sur une étagère, nous percevons comme des images fantômes. Le dispositif prend plus de place que l’image elle-même. L’artiste cherche ainsi à nous faire prendre conscience de notre considération pour les images d’actualité qui circulent et qu’on oublie vite. « Dans mes premières études de photographie et de communication visuelle, on nous apprenait à mentir afin de vendre un produit. La peinture, le dessin ou les installations me permettent de révéler tous les mécanismes de production de l’image et, en les rendant caduques, de montrer ce qu’elle recèle vraiment. »[1] rappelle-t-il. En altérant l’image, l’artiste nous incite à nous interroger sur les traces qui persistent des informations choc tant diffusées par les médias. Ce vide de contenu nous interpelle sur ce que contient l’image.

Ainsi, cette exposition dévoile un champ d’expériences plastiques à travers l’image. Les artistes ne pratiquent plus la photographie pour elle-même. Elle est un support à un travail sur la matière, repensée pour donner lieu à des installations. L’image est combinée à d’autres médiums et les artistes sont parfois des alchimistes, qui développent des procédés où se révèlent règle de jeu, préparation et potentiel hasard.

Cette exposition ouvre la voie de la prochaine édition de la Biennale de l’image Tangible, à l’automne 2020.

Pauline Lisowski

[1] http://pointcontemporain.com/portrait-dartiste-matthieu-boucherit/

visuel : Juliette-Andréa Elie « I set my traps in the middle of dreams », 60x80cm, gaufrage sur impression pigmentaire photographique et papier doré, 2018

 

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