FESTIVAL D’AVIGNON. « LE SEPTIEME JOUR », UNE CREATION ONIRIQUE DE MENG JINGHUI, FORTE ET ENGAGEE

LE SEPTIEME JOUR

76e FESTIVAL D’AVIGNON. « Le septième jour » – Texte d’après le roman éponyme de Yu Hua – Mise en scène et adaptation : Meng Jinghui – Spectacle donné au Cloître des Carmes les 18, 19, 20, 22, 23, 24 et 25 juillet à 22h.

Après « La Maison de thé » présentée au Festival d’Avignon en 2019, Meng Jinghui revient cette année au Cloître des Carmes pour proposer « Le septième jour » adapté du roman éponyme de Yu Hua paru en 2013. Un poème en prose inspiré par le mythe biblique de la création et par « La Divine Comédie » de Dante, qui invite à un voyage poétique et onirique dans le monde des morts. Un ouvrage, objet de violentes critiques, qui a eu un retentissement international. C’est une méditation sur le sens de la mort mais aussi une critique sociale et politique de la Chine d’aujourd’hui, un sujet qui ne pouvait qu’inspirer Meng Jinghui, créateur avant-gardiste engagé du théâtre contemporain en Chine.

Tout d’abord le grand plateau des Carmes intrigue. On y trouve par-ci par-là des bureaux, un canapé, quelques fauteuils, un matelas, un groupe de squelettes en rang serré et un immense et redoutable broyeur industriel alimenté par une trémie chargée d’on ne sait quoi, le tout agrémenté par quelques petits squelettes à droite et à gauche. Le ton est donné, on est au pays des morts.

Après sa mort dans une explosion, Yang Fei a été convoqué au crématorium mais il n’a pas les moyens de s’offrir une sépulture et risque d’errer dans cette autre vie, sans attache, sans lieu de repos. Le crématorium est tenu par des bureaucrates soigneux à têtes de mort, semble-t-il avec une grande rigueur administrative, mais Yang Fei se rend vite compte que les morts aisés, les notables, sont traités différemment et qu’il n’aura ni égards, ni crémation, ni sépulture. Si tous les morts sont a priori égaux, il apparaît qu’ils sont ici traités et classés comme dans le monde des vivants.

Yang Fei erre alors au hasard sur cette « autre rive » du monde et rencontre, au fil de ces sept jours dans les limbes, des personnes qui lui étaient chères ou des morts disparus dans des conditions dramatiques et qui évoquent leurs histoires. La rencontre avec son ex-femme est chargée de passion amoureuse, ils se sont toujours aimés. On évoque les souvenirs, ce que l’on ne s’est jamais dit, l’autre homme qui a brisé cet amour. La rencontre avec son père adoptif révèle un immense amour entre les deux hommes et l’histoire tragique de Yang Fei, retrouvé par ce père, cheminot, sur une voie de chemin de fer. Un homme qui a consacré sa vie à cet enfant trouvé. On retrouve également la mère de Yang Fei qui a erré de gare en gare pour retrouver ce fils perdu.

Puis Yang Fei croise un couple qui évoque sa vie tourmentée, d’autres morts disparus dans le cadre de faits divers authentiques qui relèvent de la dureté de la société chinoise actuelle. Au fur et à mesure, au travers de souvenirs, de ce dialogue avec les morts, Yang Fei observe et décortique sa vie passée, comprend ce qu’il a été et ce qu’étaient ceux qu’il a aimé, condition sans doute nécessaire pour trouver la paix dans la mort.

Le spectacle se déroule dans une atmosphère blafarde, brumeuse. Le texte, parfois violent, souvent très poétique est accompagné d’une musique omniprésente, une musique d’un autre monde, elle-même éthérée et chargée de poésie. A l’opposé, l’action est forte et prenante, les moments de tendresse et de poésie alternent avec des scènes d’une violence exaltée, de passion extrême, le tout avec quelques touches d’humour qui permettent de reprendre son souffle.

Au septième jour la scène est jonchée de squelettes. D’immenses boules noires roulent sur la scène – l’énergie de l’univers d’après Meng Jinghui – et tous ces morts vivants se réunissent autour d’une table pour raconter leur triste fin. Il est temps de disparaître à tout jamais dans une sérénité retrouvée. L’immense broyeur se met alors en route et, alimenté par une bande transporteuse qui charrie un corps indéterminé – sans doute les corps et les âmes de ces morts en errance –, il rejette sur scène une sorte de poussière, comme dans un anéantissement des corps et des esprits.

A partir de ce magnifique texte de Yu Hua, Meng Jinghui nous offre ici tout à la fois une réflexion onirique sur le sens de la mort et une critique sociale et politique qui n’hésite pas à évoquer la violence et la dureté de la société chinoise actuelle. Une création forte et engagée !

Jean-Louis Blanc

Photo Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

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