FESTIVAL D’AVIGNON. « FUTUR PROCHE », LA DEMESURE
76e FESTIVAL D’AVIGNON. « FUTUR PROCHE » – JAN MARTENS – Cour d’Honneur – 19 – 21 et 23, 24 juillet 2022 à 22h.
LA DEMESURE
Attention, si vous n’aimez pas le clavecin ou plutôt le son du clavecin et la musique contemporaine, n’y allez pas, les autres courrez vite voir « Futur proche » du talentueux et remarquable chorégraphe belge Jan Martens.
Sublime, aride, austère mais belle et passionnante, avec dix-sept danseuses et danseurs, toutes et tous éblouissant(e)s, notamment les deux enfants qui ne s’économisent pas. Issu(e)s du Ballet d’Anvers, on les imaginait mal relever le défi de cette modernité…
La première image donnera le ton. Un banc, immense, qui fait quasi tout le long de la scène de la Cour d’honneur du Palais des Papes, comme une frontière. Un clavecin posé de face au public, plus à jardin… Les danseurs sont déjà là. Dès que l’incroyable virtuose Goska Isphording entre, comme au garde à vous, les interprètes se placent par groupe de deux ou trois, autour du banc, assis dessus ou à côté.
La première danseuse se lève et tend ses bras. Une autre sur le banc détache son épaule. Une chaine humaine se met en branle. Une marche de groupe se dessine. Les danseurs entament une série de comptes comme les affectionne Jan Martens lointain/face/biais/centre. Les quatuors se forment, se découpent en trios, duos et se recomposent. Tout l’espace est saturé de danse. La Cour est comme asphyxiée…
Un passage au noir permet un changement de climat avec une course autour du banc. Un faux silence révèle que la salle – 2 000 personnes ! – est sous emprise… pas un bruit, pas un craquement, pas une toux, rien… Le clavecin reprend.
En plus du banc sans fin, du clavecin de face, jamais fait non plus dans cette Cour d’honneur et dans ces proportions, une vidéo projette une image impeccable d’un solo, puis d’une pièce de groupe sur le mur même du Palais… Le danseur a les mollets tatoués par les meurtrières de la vieille bâtisse… C’est impressionnant car on accède à toute la musculature. On comprend son effort comme si on était dans son corps… On se contracte. On se relâche au grès des impulsions de sa danse. Cet infiniment grand sur le mur contraste avec l’infiniment petit de la même danse sur le plateau. Une parfaite démesure, comme dans les peintures anciennes avant la perspective, extrêmement intéressant dans ce lieu du moyen âge…
Un second silence plane dans la Cour. Toujours aucun bruit. Même pas un applaudissement d’un spectateur peu habitué aux codes. Rien. Rien de rien. C’est proprement magique. Une série de phrases apparaissent sur le mur « les raisins n’auront plus de pepins ». Une autre révélation de ce futur proche… si proche…
Une série de pliés plus loin, un danseur va chercher de l’eau. Les autres le suivent pour remplir une piscine, une bacchanale soft avec une immersion qui vaut baptême. On se mouille le cou, les pieds dans l’eau, dans une ronde silencieuse… En même temps, les bancs se détachent et vont occuper l’espace, l’un debout, l’autre retourné. Une danse des revenants commence. Une percussion du pied sur le sol… un projecteur rasant balaye les actions sur le plateau… Une fin non heureuse. Une fin lucide. Un message du chorégraphe au monde pour qu’il se ressaisisse, qu’il change, qu’il fasse ENFIN (!) le monde d’après…
La compagnie se livre à un exercice passionnant. Jan Martens semble avoir tout donné dans cette transmission d’une pièce déjà existante et qu’il a réactivée pour cette Cour qui lui a fait le meilleur accueil et, si on se replonge quelques années en arrière, le scandale provoqué par une pièce comme Enfance de Boris Charmatz et le triomphe réservé à celle-ci, beaucoup plus complexe, montre que le public du Festival a fait du chemin et est à la hauteur de cette pièce étonnante et remarquablement dansée, imaginée par ce si jeune homme.
Emmanuel Serafini
Photo C. Raynaud de Lage / Festival d’Avignon
Cette vision de ce spectacle est parfaite. C’est essentiellement ça. Merci beaucoup.
Une pure merveille ce spectacle. Des danseurs hallucinants de prouesses et de beautés.