INFERNO

76e FESTIVAL D’AVIGNON. « VIVE LE SUJET ! » Séries 3 et 4 – Partie/ Tamara Al Saadi – Promettre/ Erwen Ha Kyoon Larcher – Silex et craie (Calcédoine et Coccolithe)/Vincent Dupont – Ladilom/Tünde Deak – Jardin de la Vierge du Lycée Saint Joseph – 11h et 18h.

La seconde fournée des « Vive le sujet ! » le matin (11h00) est ancrée dans l’actualité : d’une part la guerre, d’autre part des forêts qui brûlent (Wood is burning)… L’après-midi (18h00) l’ambiance oscille entre « no futur » et « un futur »…

Au 146ème JOUR DE GUERRE EN UKRAINE…

Tamara Al Saadi explique, à l’aide d’un tableau de bois et d’un code couleur, l’utilité des papiers remis au public à l’entrée, juste avant que la comédienne Justine Bachelet n’entonne « Brave marin revient de guerre… pauvre marin reviens-tu toujours ? ». Ce spectacle est une courte histoire de Louis Verrier, du 274ème régiment d’infanterie de la 22ème compagnie de l’armée de 14/18… émouvante histoire qui nous rappelle que sur notre sol, nous aussi, nous avons eu la guerre et ses horreurs, ses maladies funestes. Dans le climat actuel, difficile de ne pas faire le lien… Histoire touchante, interprétation juste, dispositif soigné et inventif… rappelle que l’Histoire se répète et qu’il a suffi d’un Jaurès et d’un Roi assassiné pour que le conflit débute… rien de moins…

SNAKE

Erwan Ha Kyoon Larcher n’y est pas allé par quatre chemins et dans son « Promettre ». Il y a toute la force d’une jeunesse à qui il ne faut pas en conter… Benjamin Karim Bertrand fait son entrée au lointain et chante a cappella « Wood is burning » puis Erwan Ha Kyoon Larcher, tout de noir vêtu lui aussi, le rejoint… Ils sont comme des êtres siamois, reliés par le bassin qu’ils ondulent, qu’ils frottent… le mouvement glisse du ventre au pubis puis revient… Il y a des silences. Il y a de la musique, il y a de la vie, il y a de la sensualité… ces deux-là se toisent, se dominent, se déshabillent avec les dents et fuient par le lointain… Un grand souffle érotique vient de planer sur le jardin de la vierge… qui n’en demandait pas tant…

ET COMMENT VA LE MONDE…

Riche idée que de rassembler l’incroyable Bernado Montet et l’énigmatique Vincent Dupont sur une même scène pour un duo fort et précis. La première image donne le ton… Alors que toutes les issues sont bouchées par d’immenses ballons noirs, les deux danseurs arrivent avec un masque anti covid en plastique, celui totalement inadapté au virus, mais qui était transparent et couvrait tout le visage… sur les faces en plexi, des dessins, des tatouages empêchent de voir vraiment les visages des deux hommes et surtout les yeux… Un léger déhanché à la face, les deux compères, absolument complices sur la scène, se lancent dans une course poursuite de gestes… et la concentration du public est telle que personne ne bouge jusqu’au solo final de Bernardo Montet qui laisse entrevoir un espoir avec un geste Chaplinien à souhait… extrêmement dense, cette pièce courte, permet de renouer avec deux artistes essentiels à leur art…

LE SINGE VA SE LANCER A L’EAU

Extrêmement touchant, le spectacle de Tünde Deak ne lésine pas avec les émotions sincères et les confidences intimes… Dans un dispositif rudimentaire mais efficace, l’autrice et metteuse en scène fait son entrée et se place dans une cabine amovible de traduction pendant que, à l’avant-scène, Léopoldine Hummel, avec micro-oreillette, joue la traductrice d’une histoire tellement singulière qu’elle ne peut avoir été inventée. On sent que l’artiste, d’origine hongroise, donne d’elle-même dans ce texte… Cette berceuse qu’elle fredonne au premier moment de son accouchement, d’où la tient-elle alors qu’elle n’a pas parlé hongrois depuis des lustres ? Introspection juste, moment de drôlerie, vrai conte de fées sans fée, Ladilom berce notre soirée et vient clore une seconde série de « Vive le sujet ! » tout à fait intéressante…

Emmanuel Serafini

Photo C. Raynaud de Lage / Festival d’Avignon