DANIEL LINEHAN : « THE KARAOKE DIALOGUES »
Daniel Linehan, The Karaoke Dialogues / Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis / 02 > 04 juin 2014, au Théâtre de la Commune.
Au sortir de la dernière pièce de Daniel Linehan, chorégraphe américain aujourd’hui installé à Bruxelles, les regards se tendent et les mines se font dubitatives. Il est vrai que l’on est un peu sonné d’avoir passé une heure et demie en compagnie de cette partition riche et ardue. The Karaoke Dialogues prend en effet à contre-pied l’esprit pop que sous-entend son titre et entre dans une matière dramaturgique non seulement dense (sans mauvais jeu de mot), mais aussi caractérisée par une intellectualisation extrême.
Un emboîtement complexe de faits
Pièce pour danseurs, écrans et paroles, The Karaoke Dialogues porte sur scène un processus judiciaire, de l’accusation à la sentence en passant par les délibérations du procès. Sur des écrans disposés sur le plateau et derrière les spectateurs, les danseurs suivent des textes d’auteurs et de philosophes illustres et nous les retranscrivent à travers la danse et les mots. Entre mime et moment d’abstraction pure, cette danse leur fait camper de façon forcément ambiguë les personnages de cette farce légale.
Cette dernière se compose de différentes parties, comme autant de chapitres d’un ouvrage savant qui questionnerait notre condition d’individu seul face à une communauté oppressante. Comment cette dernière contraint le premier ? Et quelles ressources celui-ci peut-il appeler afin de se libérer de la première ? Des questionnements souvent exploités au théâtre à travers de grands textes modernes et contemporains et que nous n’avons cependant pas l’habitude de retrouver dans une dramaturgie chorégraphique qui compile le langage parlé et le langage du corps.
Une danse à l’écart de son propos
Si cette pièce nous pose des questions tout à fait pertinentes à l’heure où en Europe montent des fascismes et populisme de tous poils, nous pouvons tout de même nous demander si la danse constitue le moyen le plus approprié pour nous permettre d’y réfléchir. Suivant le principe selon lequel un fait complexe n’est jamais mieux décortiqué que lorsqu’il est expliqué avec simplicité et clarté, cette pièce rate son but car elle embourbe le spectateur dans un enchevêtrement quelque peu rébarbatif dont on ne comprend pas toujours le sens ni l’adresse.
Ni l’intelligence de la mise en scène, ni l’extrême habileté des danseurs ne parviennent à nous faire entrer dans le propos du chorégraphe. Mais si leur danse est froide et exécutée avec peu de nuances, c’est qu’elle sert une ascension tragique concoctée avec un souci de distanciation et d’abstraction pure. Entre abstraction et intellectualisation, Daniel Linehan nous livre une partition chorégraphique où le spectateur a bien du mal à se faire une place.
Quentin Guisgand
Photos Frederic Iovino