ENTRETIEN : YUVAL PICK

portrait_Yuval_Pick_HD_©Laurent_Philippe

16e BIENNALE DE LA DANSE DE LYON : ENTRETIEN avec YUVAL PICK

« Je suis un chorégraphe des danseurs »

Né en Israël, nourri aux danses folkloriques et au disco, Yuval Pick entre dans la danse contemporaine avec la Batsheva Dance Company. Passage par la Finlande, l’Angleterre, Paris… jusqu’en 1999 où il s’installe à Lyon, en tant qu’interprète et chorégraphe. Directeur du Centre Chorégraphique National de Rillieux-la-Pape depuis trois ans, il nous reçoit après les représentations de Ply, sa dernière création (voir article) pour les danseurs permanent du C.C.N. pendant la 16e biennale de la danse de Lyon.

Inferno : En voyageant comme cela, vous avez eu envie de quitter l’endroit où vous étiez, ou était-ce un souhait de découvrir autre chose ?

Yuval Pick : Je voulais quitter Israël. Je voulais un ailleurs, je voulais vivre en Europe. C’est un pays où les frontières sont tellement définies qu’on a envie de vagabonder. Quand je suis arrivé à Lyon, je suis devenu amoureux de cette ville. Elle est calme, je me suis dit « je pose mes valises, je monte ma compagnie ». C’est une envie de ne plus être quelque part. De rencontrer de nouvelles influences, de nouvelles terres, de nouvelles vibrations. J’ai senti un besoin d’aller en Europe. On ne peut pas dire que je sois un chorégraphe israélien. Ma danse ne raconte rien d’Israël. Mais, le rapport à l’autre, un corps sensoriel, un rapport au pied, au rythme qui vient de la danse traditionnelle… C’est une œuvre qui parle du monde à travers l’humain. C’est un corps sensoriel, charnel. Je travaille beaucoup sur la matière, comme un modèle que je réorganise tout le temps.

Si l’on prend certains chorégraphes israéliens, comme Emanuel Gat ou Sharon Eyal, j’ai l’impression que vous êtes plus sensible à un processus de création qu’à un message à véhiculer ?

Je trouve que le message est important, le message c’est l’amour. Notre travail est très différent, mais peut-être qu’on est plutôt très dansant. Dans l’envie de danser, la sensation que la danse évoque, qui nous concerne réellement. On est un peuple qui danse. Mais je n’aborde pas du tout les idiomes classiques, il y a un travail sur la gravité. Le classique n’est pas une banque de ressources pour moi ! Je travaille différemment. Je travaille sur l’état organique du corps. Comment, de la périphérie, on récupère une information vers le centre du corps et vice-versa. C’est ça qui réunit le vocabulaire que j’aborde. En gros.

Le message, ce n’est pas le bon critère mais il y a toujours du message. Créer chez les gens un état de transformation, un état qui donne un rapport à l’espace-temps, qui les transforme dans leur vie quotidienne. La danse passe par le souterrain : sous la peau, sous la pensée. Je ne parle pas du réel mais de la réalité, du moment. Sur l’âme universelle, notre condition au-delà d’où on habite. Peut-être l’âme errante. L’œuvre va dépasser les individus et en même temps, on voit vraiment les gens. Je suis chorégraphe de danseurs ! Il y a quelque chose qui émane du danseur au-delà de son individualité.

Il y a un fond d’humilité dans la danse que j’aborde. Le moment où tu te préoccupes des actions, de rentrer dans un état où tu t’abandonnes, il y a quelque chose comme une vapeur, un air chaud qui monte au delà de l’individu. Je veux perçevoir « l’autour du corps ». C’est une préoccupation à l’action et non au mouvement. D’avoir un état qui sort de l’individualité. C’est très important de défendre, d’aborder, de rendre visible cette humilité.

Vous travaillez avec une équipe de danseurs permanents ?

Le cœur de mon projet au CCN, c’est un groupe de danseurs permanents. On approfondit ensemble des recherches pendant des années. Un monde de sensibilité, d’approches, qui influence toutes les missions du CCN. Ça devient un comportement plus qu’une façon d’apprendre simplement une pièce.

Quand je vois Ply, j’ai l’impression de voir une grande écriture de l’action dans une grande liberté de mouvement. La précision est dans le rythme et dans l’intention. Je demande aux danseurs d’interpréter à leur manière et à partir de leur corps. Il n’y a pas de modèle, surtout pas moi. Ils ne sont pas en train de produire un mouvement comme il se doit d’être. Trouver la bonne intention dans le bon rythme, c’est ça qui est important. La musique apporte une ambiance. Le rapport au rythme et à la musicalité sont trouvés à partir du mouvement des danseurs.

Je reviens sur le mot de message, il n’y pas de narration, pas de métaphore. On laisse venir les images qui peuvent surgir de cette matière. Je ne me pose pas la question de ce que ça va dire, mais de ce que ça va faire. Moi je trouve que la France est un pays très théâtral. La danse ne doit pas toujours apporter un discours ou quelque chose de la narration. Le « savant » est important pour nourrir le « sauvage », l’intuitif et pas le contraire.

Le rôle des interprètes est énorme…

Énorme. Les interprètes sont très libres mais très responsables. Je trouve que l’interprète aujourd’hui est tellement mal dans le monde de la danse, ça me tue ! On ne parle que de l’auteur mais le danseur, c’est lui qui crée le spectacle, c’est lui qui communique. Moi je ne mets que les ficelles. Il n’y a rien de plus beau qu’un interprète à la quarantaine. Aujourd’hui tout le monde veut créer, de plus en plus jeune. D’avoir de beaux interprètes avec la bouteille, c’est magnifique. C’est pas facile, j’en vois de moins en moins, en dehors des étoiles de L’Opéra de Paris. Les danseurs contemporains ont une énorme qualité, un énorme travail artistique en eux. C’est quelque chose qui me gêne de ne pas le voir sur scène.

Vous danserez dans votre prochaine pièce ?

Je ne sais pas. Je n’ai jamais quitté la scène mais j’adore créer de l’extérieur. J’ai toujours aimé verser mon contenu dans le monde de quelqu’un. Quand je suis mon propre interprète, il n’y a pas de mystère. Je suis un chorégraphe des danseurs. J’adore observer ce paysage que je crée de l’extérieur. J’adore fabriquer ça, c’est un désir important pour moi. Mais j’adore aussi danser, être sur la scène, cette ferveur.

Danser pour quelqu’un d’autre ?

Je n’exclue pas de monter sur la scène à nouveau. Pourquoi pas pour quelqu’un d’autre, je suis ouvert. Carrément.

Vous construisez un parcours précis pour chaque interprète ?

Dans une compagnie de 10 ou 14 personnes, il y a toujours un bouche-trou. Ici, ce sont 5 diamants avec qui je crée des colliers. Dans chaque pièce, chacun a une place essentielle. Chacun a un parcours avec un déroulement très précis et souvent une résolution. Je sens qui je tisse, je suis fasciné par ça. Au début du travail, je n’en ai pas conscience, cela se fait de façon très naturelle, intuitive. C’est une réaction à la personne, je crée pour eux, à partir d’eux. Dans toutes mes pièces, ils sont tous sollicités, ils sont amplement là. Ils ont besoin de donner beaucoup et ils reçoivent beaucoup. J’aime bien accompagner les gens et qu’ils m’accompagnent dans la longueur. J’ai rencontré certains alors qu’ils étaient très jeunes. Il y a un grand amour artistique, on croit dans la même chose.

Comment se passe la rencontre avec le public de Rillieux-la-Pape et de Lyon ?

Ça se passe bien. On travaille beaucoup avec les enfants et les adolescents. Les adultes sont plus compliqués à toucher directement. A notre époque, à cet âge, je ne sais pas si les adultes issus de l’immigration ont la liberté de venir voir un spectacle qui n’est pas de leur culture. Ils viennent par le vecteur des enfants. On fait beaucoup d’effort pour toucher les écoles, la MJC… J’ai commencé un travail avec un groupe de jeunes du quartier, on a créé un dispositif avec une forme de création, de tournée, un fond d’aide. C’est un énorme boulot. Énorme. On a posé quelques pierres. Pour ce qui est des spectateurs, c’est très difficile de toucher les moins de 40 ans. La danse attire souvent les plus âgés. C’est une vraie question, pour tout le monde y compris dans le centre de Lyon.

On attend d’un directeur d’un institution culturelle d’être à la fois un artiste, un politique, un directeur d’entreprise, un intellectuel… N’est-ce pas difficile de jongler entre toutes ces casquettes ?

Quand je suis venu ici, je ne savais pas ce que serait. Après trois ans, je peux dire que je suis convaincu qu’il faut défendre cette place fragile parce que c’est très important que les artistes soient à la tête de l’institution. Effectivement, cette existence est fragile parce qu’il faut avoir une très bonne équipe qui œuvre pour le développement de la danse et de ma danse vis à vis du public et de la contemporanéité. Il faut être très vigilant de ne pas répondre par un slogan. C’est quoi l’art dans la place du public, dans la place des gens ? Comment l’artistique est toujours à la hauteur, à la première place ? Comment défendre l’humain et la matière ? L’art nourrit la culture mais la culture ce n’est pas l’art et c’est ça qu’il faut défendre.

Les C.C.N. ont aussi une mission de formation des professionnels.

La transmission, c’est quelques qui m’intéresse énormément. La pédagogie chorégraphique souffre de lacunes, il faut la réfléchir, elle est un peu trop compartimentée. Le corps n’est pas moderne. Ça m’intéresse de faire des actions pour donner des clés, des kits pour les danseurs qui sortent des écoles pour intégrer le champ chorégraphique. Il y a un décalage, il y a une zone grise. Je monte des réseaux avec des écoles de danse à l’étranger. En Allemagne, au Danemark, au Canada, en Israël. Je donne beaucoup de cours, des ateliers, des master-class. On part à l’étranger et on voit la situation en France aujourd’hui. Construire un corps, ce n’est pas travailler sur la présence. Les écoles sont plus occupées à construire un corps. Comment un C.C.N. peut-il être un lieu ressource pour monter des groupes de travail sur cette question : comment construire un corps aujourd’hui ? On doit être plus sollicités pour ce travail d’expertise. C’est un trampoline pour que l’information reparte, revienne, qu’il y ait plus de partage d’information, pas imposer -on n’est pas les rois de France-, mais proposer un échange. Parfois c’est tellement bureaucratique qu’on ne voit pas le simple échange.

Propos recueillis par Bruno Paternot,
septembre 2014

Photo Laurent Philippe

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