NOVART 2014 : « LOSER » WINNER, ARPAD SCHILLING GAGNE « THE PARTY »

schilling

Festival NOVART 2014 / du 18 nov. au 6 déc. 2014, Bordeaux / « Loser » (ou « The Party ») Arpad Schilling vendredi 28 et samedi 29 novembre TnBA

Metteur en scène dépouillé de subventions par le régime autocratique de Viktor Orban, Arpad Schilling n’hésite pas à « revêtir » ses habits neufs d’acteur pour – tableau inaugural de sa pièce qui n’a pu voir le jour que grâce au soutien financier de structures étrangères (le TnBA étant l’un des coproducteurs) – s’exhiber nu sur scène avant de traverser dans le même appareil la Grande salle Vitez à la jauge pleine. Déviationnisme exhibitionniste ? Non, geste culturel à haute intensité politique pour dénoncer le perdant de cette Histoire : l’intelligentsia de son pays, la Hongrie, qui se couche comme une prostituée soumise devant l’ordre nouveau pour tenter de glaner quelques maigres subsides.

Arpad Schilling, déjà présent à Bordeaux lors des « Tribunes de la Presse » organisées début novembre au TnBA, avait dénoncé cette dérive à relents collaborationnistes des intellectuels hongrois qui, pour survivre, se conforment docilement au diktat d’un régime expurgeant de « sa culture » tous ceux qui refusent de faire allégeance à ses préceptes ; toutes velléités de culture alternative étant d’emblée condamnées à regagner les milieux underground où le communisme autoritariste les avait reléguées naguère. De même, et formant un tout cohérent, déplorable et hautement toxique, cette dérive généralisée de livrer à la vindicte populaire des boucs émissaires responsables de tous les maux ; ainsi les homosexuels ou encore les Roms, 10°/° de la population hongroise, pourtant natifs du pays, mais que leur peau basanée désigne comme « fainéants, voleurs, voire criminels ».

Porteur de cette conscience et pour dénoncer la démagogie populiste à l’œuvre en Europe, avec les montées des extrêmes droites qui dans le même temps qu’elles refusent d’ouvrir le peuple à des formes artistiques exigeantes l’abreuvent d’un langage simpliste très clivé visant à anesthésier son sens critique, Arpad Schilling n’a pas hésité à venir déchirer devant le siège du gouvernement, à Budapest, le papier de refus qui lui a été adressé en réponse à ses demandes réitérées de subventions. Dans l’Union Européenne actuelle, à laquelle la Hongrie appartient, on ne fusille plus directement les opposants, on leur coupe les vivres pour les rendre exsangues et les condamner ainsi à se taire. Dernière aberration en date de la politique culturelle de l’UE que ne manque pas de fustiger le metteur en scène hongrois : le tout nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Junker, s’est empressé de nommer un représentant du gouvernement de Viktor Orban, Tibor Navracsics, comme commissaire à l’éducation et à la culture…

Voilà pour ce qui est de l’engagement de ce metteur en scène des dérives de la démocratie de son pays, l’ancienne République de Hongrie, qui a perdu au passage son appendice de « République » pour se réduire désormais à Hongrie. La question qui se pose maintenant est de savoir comment cette conscience politique à vif va se traduire « artistiquement » au travers du joyeux « bordel » développé à son initiative sur scène (et pas que !).

En effet, du début à la fin, tout n’est que désordre et transgression en tous genres. Tout d’abord, la nudité crue, dénuée de tout esthétisme, et exhibée comme une bombe destinée d’emblée à ruiner tous les présupposés attendus d’une critique politiquement correcte des dérives totalitaires. Ensuite, la destruction des frontières entre les lieux de représentation (la scène du théâtre) et la salle : les spectateurs sont ainsi inclus dans le scénario, cernés par les protagonistes. Ce n’est pas pour rien que le Krétakör Theater (devenu depuis Krétakör, tout court), dont le credo est le Theater of true Hope (théâtre de la véritable espérance) investit « la création » comme l’endroit où se joue, se rejoue, et se prépare la société de demain. Seules les politiques d’éducation d’avant-garde peuvent favoriser l’avènement de sujets libérés des vieilles antiennes génératrices d’exclusions.

Il ne s’agit plus là, selon une démarche d’analyse habituelle, de proposer une lecture critique construite de ce qui, sous les dehors d’un ordre nouveau, annonce le retour au grand chaos, mais de représenter le désordre sur scène, comme générateur de vie. Dans un monde où tout se délite et où la soumission des corps et des âmes à l’ordre dominant fait partie de la « normalisation » des esprits, à laquelle n’échappent aucunement les intellectuels, seules les réactions brutes des protagonistes sont susceptibles de dire l’état de cette société gangrénée jusqu’à l’os. Ainsi, l’actrice, Lilla, femme du metteur en scène est-elle amenée, en toute tranquillité apparente, à laisser longuement contempler sous sa robe son sexe convoité par un réalisateur comme pouvant être le sujet de son prochain film porno. Plus personne ne semble se soucier d’une dignité minimale qui l’amènerait à résister à l’exploitation de ses ressources singulières. Chacun, dans un contexte de survie, est prêt à tout pour obtenir sa pitance, si maigre soit-elle. Et même le metteur en scène qui au départ résiste à ces pressions insupportables en criant sa révolte est amené au final à composer avec la réalité en acceptant une distinction honorifique qui lui est accordée par le régime.

A moins que ce coup de pied magistral dans le code des représentations d’une sexualité qui explose de tous bords pour apparaître essentiellement défoulatoire (on s’adonne sur le plateau à des pratiques réservées aux salles spécialisées) et/ou contrainte selon le point de vue (le lieu de la domination masculine sur le corps de la femme) ne recouvre un processus beaucoup plus politique que ce l’on pourrait croire au premier abord. En effet, ne pourrait-on voir là, sous une forme brute, une première étape vers l’émancipation individuelle d’un sujet qui s’affranchit d’abord des tabous sexuels pour ensuite se libérer des contraintes sociétales attachées à un pouvoir oppressif ?

En son temps, le psychanalyste autrichien Wilhelm Reich – dans la Révolution sexuelle – a montré qu’il pouvait s’agir d’une première étape vers la libération sociétale. En effet, identifiant le caractère social des névroses, il imputait à l’organisation patriarcale et monogamique de nos sociétés occidentales, la responsabilité non seulement de la répression sexuelle qu’elle génère mais l’asservissement des esprits liés à cette camisole dans laquelle elle enferme chacun. A l’en croire, la révolution politique qui conduit à l’avènement d’un individu libéré des forces oppressives, passait par une première étape, celle de sa révolution sexuelle. Arpad Schilling a-t-il voulu inclure cette dimension à sa représentation ?

Si l’on s’en réfère à son credo artistique, peu importe ses intentions, l’essentiel étant que les formes scéniques qu’il produit créent de manière inattendue une pensée propre à chacun. Pas le soupçon du moindre didactisme, « le texte » étant à entendre non pas dans sa forme restrictive traditionnelle de mots écrits, mais incluant tout autant la musique très présente que les installations plastiques « destroy » ou encore les intrusions de réalité – caddy de supermarché rempli de peaux de bête invitant à en changer soi, de peau – dans l’espace du théâtre. Ce qui compte pour lui, c’est d’immerger le spectateur dans des fragments de réel dont chacun va s’emparer de manière sensible pour trouver, dans l’outrance, matière à reconstruire du sens. Un sens personnel que la société hongroise dévastée par les effets délétères d’un libéralisme totalitaire se souciant seulement d’économie et succédant lui-même à un communisme sans visage humain, tend à occulter en imposant un sens unique à la culture.

C’est ainsi que cette apparente « impureté » qui se dégage de ce désordre gigantesque – assez jubilatoire – qui envahit deux heures durant le plateau devient non seulement le moteur de la création artistique mais aussi celui d’une révolution en marche invitant l’intelligentsia à sortir de la torpeur domestique où elle s’est assoupie. Mais, si le lieu du questionnement est circonscrit à la Hongrie de Viktor Orban, peut-on pour autant penser un seul instant que nos sociétés occidentales ne soient pas concernées par ces processus d’asservissement et de libération à l’œuvre au travers des formes culturelles proposées ?

Est-ce pour « réfléchir cette question », que M. Alain Juppé, premier édile de la ville, principal financeur de Novart, était présent dans la salle, vendredi soir pour la première des deux représentations de Loser – spectacle qui bénéficie du soutien d’Amnesty International – ou bien sa présence était-elle uniquement motivée par des appétences de pur esthète libéré de toutes préoccupations politiques ? Là encore, la question reste ouverte…

Yves Kafka

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