LES DESIRS CACHES DE GAËLLE BOURGES AU FESTIVAL ARDANTHE
A mon seul désir / Gaëlle Bourges / Festival Artdanthé / Théâtre de Vanves, le 6 février 2015.
Un drap rouge est tendu à quelques mètres du premier rang de spectateurs. Sur les côtés, des fils tendus du sol au plafond portent des masques d’animaux superbement ouvragés et divers objets qui serviront à l’interprétation de la pièce. La lumière se fait, passant de l’ombre à la lumière avec la douceur que prend parfois le lever du soleil sur une campagne encore endormie.
Quatre femmes nues de la tête aux pieds.
Elles évoluent sur l’étroite bande de scène comprise entre les spectateurs et cette frontière plane que constitue le drap rouge tendu entre les coulisses. Le spectacle se regarde dès lors comme dans un traveling, ou plutôt comme un bas relief sur lequel leurs gestes lents et mesurés sont sculptés pour notre édification. Elles dansent l’histoire de la tapisserie de la Dame à la Licorne pendant qu’une voix cachée, elle aussi féminine, nous la raconte.
Après avoir habillé de mille fleurs le rideau qui sert de repoussoir à leur aventure, l’une d’entre elles devient la Dame, une autre la Licorne, les deux autres le lapin, le renard ou le lion. Les tableaux s’enchaînent avec une précision respectueuse pour nous laisser nous imprégner de cette fable allégorique dont le support originel est aujourd’hui conservé au Musée de Cluny.
L’évidence trompeuse
La nudité de ces quatre femmes n’est pas dérangeante car leurs gestes appellent le regard et leur geste[1] retient notre attention dans un univers courtois peuplés de symboles. Tantôt grivois, tantôt profonds, ces derniers convoquent un imaginaire médiéval que l’on se reproche de ne pas mieux connaître mais dont on devine la subtilité. En effet, nous sentons là que ces symboles jouent un double jeu.
Dans l’entrelacs des formes et du récit que Gaëlle Bouges tisse sur la scène, point une menace sourde. Celle du déchirement du voile de la dame sensément vierge, ou celle du retournement du monde, sage et chaste, qui nous apparaît avec une évidence trompeuse. Or, la Dame a des yeux licencieux et l’on devine son derrière lors qu’elle se tourne car sa robe n’est pas fermée. Trente-cinq lapins agitent la scène champêtre de leurs sauts lubriques et l’on se demande dès lors si la licorne est là pour attester de la chasteté de la belle ou plutôt pour lui servir de paravent.
Un mystère contemporain
C’est comme si l’on passait derrière le miroir, comme si le devant de la tapisserie, ornée de fleurs et de motifs aimables, n’était là que pour révéler, par analogie, la face cachée de l’histoire. Sous les habits : la chair ; sous les masques : les sourires ; derrière la tenture : une scène vide qu’investissent des corps dansant une farandole du diable. Le vraisemblable explose alors et nous pénétrons dans la surface du mythe.
Faisant appel aussi bien à la culture courtoise du Moyen-âge qu’au mystère de la Vierge Marie ou encore à l’histoire d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Gaëlle Bourges nous livre là une pièce qui, parce qu’elle garde une part de son mystère, laisse le spectateur dans une sorte d’enchantement. Elle convoque alors une esthétique qui oscille entre le sage et dément, entre la tranquillité et la folie, entre la surface lisse du visage de la Dame et l’intrépidité trouble de ses désirs profonds.
Quentin Guisgand
[1] « Action remarquable qui frappe par sa générosité et sa noblesse », in Larousse.
>> A voir le 27 mars à Roubaix (59), Centre chorégraphique national de Roubaix – Ballet du Nord, temps fort « Jouvence ».