UN BILAN POST TRANSAMERIQUES 2016, AVEC MARTIN FAUCHER

faucher

Montréal : Rencontre avec Martin Faucher, directeur artistique du Festival TransAmériques 2016.

Inferno Magazine : Nous voici à la fin du Festival TransAmériques, voulez-vous partager avec nous un bilan personnel de cette édition ?
Martin Faucher : ces derniers quatorze jours ont été pour moi très stimulants et très satisfaisants. Imaginer une édition d’un Festival reste quelque chose d’abstrait pendant très longtemps et quand les spectacles commencent à être présentées devant le public tout devient instantanément concret. Voir l’enthousiasme par rapport aux propositions, l’élan du public et avoir des gens qui m’approchent pour dire qu’ils ont été très stimulés par la programmation de cette année a été une grande joie. Pendant deux semaines j’ai croisé des personnes qui m’ont dit qu’elles souhaitaient tout voir, et j’ai été très touché par le public qui reste longtemps dans le hall du théâtre pour échanger après le spectacle. J’ai vu beaucoup de public qui a passé ses soirées au Quartier Générale du FTA (le QG) : l’envie de parler, d’échanger sur les spectacles était palpable et très forte. Tout cela pour moi a été une grande satisfaction.

Un festival est-il tout cela pour vous ?
Oui, car pour moi un festival est un espace de rencontre. Pendant le festival il y a eu de vrais échanges, et pas seulement pour les professionnels : le FTA a été le lieu d’activités autour de la création, comme les ateliers dramaturgiques ou bien les ateliers d’accompagnement à la dramaturgie, ou encore les classes de maîtres. C’est très stimulant ce qu’on a pu vivre cette année et le tout dans une atmosphère très joyeuse. Je suis heureux que pendant deux semaines la présence de tous ces artistes à Montréal, de tous ces projets, a eu du positif pour la création et le public. Et je suis fier qu’il y ait eu de l’exigence parce que nous avons veillé à tout dans le moindre détail.

Si vous le pouviez, aujourd’hui, y a-t-il quelque chose que vous changeriez dans cette dernière édition du FTA ?
La programmation du FTA s’imagine et se décide sur deux ans. Il y a eu donc des spectacles auxquels j’ai assisté ces derniers quatorze jours, que j’avais vu il y a deux ans. J’aime bien redécouvrir les spectacles lors du festival, il y avait pas mal de détails que j’avais oubliés et qui ont resurgis en me donnant beaucoup de plaisir. Parfois je me rappelle qu’une pièce m’avait plu mais je ne me souviens plus exactement pourquoi. Hélas, pas tout ce que je vois a pu être programmé au sein du FTA : à plusieurs reprises je me suis demandé quelle autre dynamique j’aurais pu créer au FTA en programmant des spectacles plutôt que d’autres. Mais pouvons-nous vraiment se poser cette question ? C’est vrai que j’aurais pu faire des choix différents, mais cette sélection est aussi quelque chose de vivant, en accord avec moi-même à un certain moment de ma vie. Et, en même temps, ma programmation m’indique l’état d’esprit dans lequel j’étais quand j’ai choisi les spectacles de cette édition. Tout cela m’aiguille sur les critères qui vont faire en sort que, en tant que directeur artistique du FTA, je vais aller jusqu’au bout de mon désir intellectuel, artistique et esthétique. Toute cette démarche, ce recul que je prends par rapport à l’avant et à l’après programmation FTA me permet de comprendre ce que j’ai envie de défendre en tant que programmateur.

Que voudriez-vous défendre en tant que directeur artistique du FTA ?
À travers la programmation du FTA j’ai envie de témoigner d’un monde qui est vraiment en crise. Notre monde est épuisé et il doit forcément se renouveler d’une façon majeure. Nous arrivons à la fin d’un système où il y a plein de valeurs que les plus veilles générations (et moi je commence à faire partir de cette génération-là) n’arrivent plus à transmettre aux jeunes générations. Soit nous n’arrivons pas parce que nous ne sommes pas de bons pédagogues soit parce que nous avons à transmettre ne correspond pas du tout à ce que les plus jeunes ont envie de vivre.

Comme quoi par exemple ? Qu’est ce que les jeunes générations ont envie de vivre à votre avis ?
Pour moi c’est mystérieux ce que les jeunes ont envie de bâtir et d’inventer. Au dehors de leur survie…

Vous parlez à ce propos car auriez-vous voulu voir un public plus jeune au FTA ?
Non ce n’est pas dans ces termes…

Parlez-vous d’une incompréhension entre les artistes programmés au FTA cette année et une fracture avec un public plus jeunes ?
Les spectacles qui témoignent de notre crise actuelle font partie pour moi de toute une époque qui se termine. L’idéal bourgeois, matérialiste représenté par exemple par Christoph Marthaler dans Une ile flottante, à l’affiche cette année, ou bien par les italiens Antonio Tagliarini et Daria Deflorian, se base sur un type de société capitaliste qui ne fonctionne plus. Il s’agit d’un système qui crée de plus en plus d’exclus, dont cette génération d’artistes programmés au sein du FTA s’emparent et racontent. Ce que j’ignore est ce dont (ils) rêvent les jeunes artistes. Les spectacles de cette jeune génération d’artistes, comme Julie Duclos avec Nos serments, ou bien Etienne Lepage avec son La logique du pire, sont pris par une vrai dynamique de survie. Toutefois pour l’instant, chez les plus jeunes artistes, je ne vois pas ce que les gens veulent bâtir.

Dans La logique du pire, Etienne Lepage construit son discours autour d’un fort cynisme. Nous avons ressenti un vide, un vrai non sens qui est une claire référence au théâtre de Ionesco par exemple… Nous ressentons effectivement la perdition, plutôt qu’une volonté de construire, d’espérer…
Je parle d’une aliénation et pour moi tout cela est le témoin d’un monde en crise, d’un constat : les artistes font face à ce qui se passe autour de nous. Pour les prochaines éditions je voudrais réussir à présenter quelque chose qui montre ce qu’on veut bâtir après cet échec capitaliste. Pour moi il était important de souligner avec la programmation du FTA que nous sommes dans un moment de bascule. Les artistes d’aujourd’hui nous montrent ce changement en train de se faire. Lequel ? Tout cela sera dit et transmis dans les années à venir.

Quelle place a occupé le public dans le choix de votre programmation ?
Comme directeur artistique je pense que je peux avoir un instant assez fort pour programmer des artistes qui vont correspondre à des gouts et des plaisirs montréalais. Même en programmant des artistes qui ne sont pas connus. Il est vrai que je peux savoir qu’avec certain type de spectacles, si nous avons un bon plan de communication, nous allons facilement à la rencontre des publics. En même temps, je suis convaincu que le rôle d’un festival comme le FTA est aussi d’aller à la rencontre de son public…

Quelle est, alors, la place du risque dans la programmation d’un festival comme l’FTA ?
Mon défi, dans les prochaines années, va être de rencontrer des œuvres que je trouve très fortes et très signifiantes. Des spectacles et des artistes qui ne rencontreront peut être pas le public du FTA et qui ne susciteront pas l’enthousiasme délirant auquel nous avons assisté cette année. Un artiste comme Romeo Castellucci, ayant été souvent présenté à Montréal, suscite une grande exaltation. Malgré l’incompréhension que le public éprouve parfois devant ses pièces, il représente une voix majeure du théâtre contemporain : le public veut le voir et prend du plaisir à assister à ces créations. Quelle place auraient (-ils) dans le FTA d’autres artistes qui sont peut être de la même envergure de Castellucci, mais qui ne sont pas connu autant que lui ? Le risque pour moi est de trouver des artistes qui vont nous déranger dans l’inconnu. Un artiste comme Castellucci a une telle reconnaissance mondiale que même si nous sommes souvent dans l’incertitude et dans l’inconnu avec ses pièces, la valeur de l’artiste vient équilibrer la réception. Sur un artiste complètement inconnu, comment le public pourrait réagir ? Je ne dois pas avoir peur, pour les prochaines éditions du FTA, de présenter des propositions de ce genre.

La proposition de Dana Michel avec son Mercuriel Georges était une prise de risque pour le public montréalais du FTA ?
Elle a eu un tel succès dernièrement et elle a pu monter un si bon dossier de presse : pour moi Dana Michel n’est donc pas un risque trop grand. Un vrai risque pour moi était plutôt la pièce Con Grazia de Martin Messier et Anne Thériault, qui était un travail très puissant sur la démolition. Leur duo représentait un défi pour moi : je n’étais pas sur qu’ils auraient pu rejoindre le gout du public. Ces deux artistes, l’un venant de la danse, l’autre de la scène électronique, étaient pour moi une vrai prise de risque dans la programmation du FTA. Et au même temps j’ai eu toujours confiance dans leur projet : le risque pour moi n’est pas d’arriver à avoir des salles cent pour cent pleines. Le risque pour moi est plutôt la possibilité de parier sur une aventure d’envergure sur des salles de quatre cents places.

Le risque pourrait être également de faire sortir la programmation de l’FTA des théâtres connus de Montréal ? Je parle d’aller à la rencontre d’un autre public, moins connaisseur, en organisant par exemple des spectacles hors les murs ? En banlieue par exemple ?
Oui, absolument. Le risque peut se situer plus du point de vue géographique. Sortir du confort et du connu pour présenter par exemple un projet stimulant dans un centre commercial, ou en banlieue. Je pense que le FTA doit effectivement réinterroger la géographie et le contexte de représentation des spectacles.

Propos recueillis par Cristina Catalano

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