« Y ALLER VOIR DE PLUS PRES » : L’ORATORIO POLITIQUE DE MAGUY MARIN

Y ALLER VOIR DE PLUS PRES

75e FESTIVAL D’AVIGNON : « Y aller voir de plus près » – Maguy Marin – Benoit XII – 7 au 10  puis 12 au 15/07/21 à 18h

Connaissance du monde.

Que nos lecteurs le sachent d’emblée, pour ceux qui cherchent Cendrillon, quelques portés, un pas de deux et des ensembles dûment chorégraphiés, il n’y en a aucun dans « Y aller voir de plus près », la nouvelle mise en scène de Maguy Marin pour ce 75ème Festival d’Avignon.

Cela fait bien longtemps que l’artiste ne fait plus de la danse – en a-t-elle jamais fait ? – Ici, il y a un texte, celui de Thucydide, homme politique, stratège et pour le moins historien de son époque. Il y a la description minutieuse de la guerre entre Sparte et Athènes au Vème siècle avant notre ère. Avec ce texte mi stratégie militaire mi analyse des enjeux géopolitiques du moment, Maguy Marin tient son sujet et surtout ce texte confirme son intuition : l’histoire se répète et nous pourrions tout à fait en changer le cours si nous prenions leçon de celle qui s’est passée naguère… mais, allez savoir pourquoi, l’Homme ne le fait pas… Pire, il s’enferme dans une répétition sordide qui mène aux mêmes malheurs et voire empire ceux décrits dans l’Histoire… c’est tout l’enjeu de ce spectacle.

Maguy Marin est politique. Elle l’a toujours été. Elle tente savamment, depuis longtemps, de rapprocher les deux pans d’une peau qui ne se cicatrise pas en se réajustant. Avec ce spectacle, elle tient la preuve. La preuve par les mots, les maux, les descriptions et surtout les énormes trahisons… Elle nous fait entendre que dans ce Vème siècle avant JC, il y avait déjà des traités de non-agression, des accords bilatéraux de renfort en cas de conflits et, sans cesse, pour de vils intérêts, ils ont été bafoués, trahis, ignorés…

L’exercice de style de Maguy Marin réside dans cette épuisante démonstration. Elle cherche sans cesse à montrer ce moment de bascule… On devrait dire à nous faire entendre par les mots de Thucydide en exil, traduits par l’irremplaçable Jacqueline de Romilly, tout ce qui fait que, à un moment, les Grecqs ont été en position dominante, promettant ici une aide, là des navires et partout du soutien et de l’influence. Pour quel résultat… pas loin d’une dictature… Car, c’est ainsi que s’est fini cette guerre du Péloponnèse qu’on nous raconte ici.

Je dis « raconte » parce que le choix de Maguy Marin est de nous dire par quatre voix – deux femmes, deux hommes – une partie de ce texte volumineux (on le voit lorsque l’ouvrage en format poche circule des uns aux autres sur scène) et non joué. Personne n’incarne, tout le monde donne de sa voix. En quelque sorte, ce spectacle tient plus de l’oratorio que du théâtre au sens où on peut l’attendre à Avignon… Alors, oui, c’est aride. Alors, oui, il faut s’accrocher. Alors oui on ne retient pas tout, ni les dates, ni les lieux, mais grâce au dispositif imaginé par Balayam Ballabeni et Benjamin Lebreton les scénographes, on garde le fil et on est ramené à notre propre Histoire… Ne voit-on pas défiler quelques portraits de certains des acteurs de ce dérèglement mondial, de cet excès de pouvoir des uns sur les autres…

Sur une scène, dès le début encombrée d’objets desquels on distingue des écrans, des percussions, des lances, des javelots tout un amas de choses au point où l’on ne saurait où cacher une épingle, les quatre compteurs s’avancent masqués, en toge, qu’ils ôteront au profit d’un t-shirt à l’effigie de l’acropole notamment. La lente logorrhée commence. Ce n’est pas pour rien que le compte à rebours d’un film accompagne ce début, car c’est un long film qui va se dérouler pendant une heure trente, un film qu’on a déjà vu à différent moment de notre Histoire. Maguy Marin en cite au moins deux Madrid (1936 – 1939) Sarajevo (1992 – 1996) pour laquelle, on s’en souvient, elle s’était engagée… Ce n’est pas un hasard si, au beau milieu de la pièce, surgissent les mots de Brecht : « le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie mais son évolution en temps de crise » !, qu’on se le dise… Et c’est assez plaisant de voir que dans cette salle paroissiale qu’est le Théâtre Benoit XII, Maguy Marin la révoltée, Maguy Marin l’engagée, nous assène une leçon comme dans les MJC où l’on emmenait les enfants assister à des conférences dûment nommées « connaissance du monde »…

Au fur et à mesure du spectacle, le plateau finit par se dégager des objets pour ne laisser que des écrans… On y voit les assauts, les marches des guerriers. Il s’y décrit les trahisons humaines, l’inutilité des traités et au final, on prend acte de la mort de nombreux innocents pour des causes pas toujours avouées…

On comprend donc qu’il n’y a pas de ressort amusant, ni d’anecdotes comiques pour détendre l’atmosphère. On ne pourra pas dire, comme sur la promo de certains spectacles : on rit aussi beaucoup, car, non, ici on ne rigole pas… c’est austère, c’est volontairement didactique… Maguy Marin démontre l’abus de pouvoir, la cupidité… ce n’est pas toujours « finement » dit, mais c’est là, ça doit interpeller… L’ensemble est une grande installation plastique et une démonstration en images et en sons… Un moment qui se gobe comme un serpent avale sa proie mais si important qu’il faut s’y rendre et s’y laisser bercer par les voix qui disent cette guerre du Péloponnèse…

Emmanuel Serafini

Photo Christophe Raynaud De Lage / Festival d’Avignon

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