FESTIVAL D’AVIGNON. « LA TEMPESTA », QUAND THEÂTRE PREND FORME
76e FESTIVAL D’AVIGNON. LA TEMPESTA – Shakespeare – Adaptation et mise en scène : Alessandro Serra – Les 17, 18, 19, 20, 22 et 23 juillet à 18h00 – Durée 1h45.
C’est en découvrant le travail d’Alessandro Serra au Printemps des Comédiens pour « Macbettu » que le public, conquis, touchait du doigt l’esthétisme du metteur en scène italien. Avec très peu d’éléments sur scène, un éclairage tout en clair-obscur et la seule force des comédiens, il parvenait alors à offrir toute la violence et la force du texte de Shakespeare. Là encore, Alessandro Serra use avec talent mais dans un registre forcément différent des mêmes procédés.
Voilà bien dans l’œuvre de Shakespeare l’un de ces textes assez alambiqué mais qui, somme toute, peut facilement se comprendre pour peu que le metteur en scène sache éclairer le public par une mise en scène limpide. Alessandro réussit clairement cette manœuvre délicate. Avec très peu d’accessoires si ce n’est la magie du théâtre, le metteur en scène et ses magnifiques éclairages recréent sur scène cette île fantastique où tout va arriver : les retrouvailles, la vengeance, l’amour et enfin le pardon. En maître de cérémonie, Prospero (Marco Sgrosso), tisse et semble inventer la véritable mise en scène de tout cet équipage qu’il manipule comme des marionnettes avec Ariel, un génie des airs asservi et dévoué. Alessandro gomme le superflu et revient, non avec une certaine malice, vers un théâtre de tréteaux fait de trois fois rien. La magie de Prospero devient bel et bien réelle et parvient à créer la vie sur un plateau vide. Le metteur en scène donne alors cette agréable sensation que tout coule de source et s’efface pour ne laisser la place qu’à ses comédiens, à Shakespeare et à l’envie des spectateurs de recevoir cette magie créatrice. C’est là toute la puissance du théâtre !
Usant de clair-obscur, parfois trop, l’ensemble offre de belles compositions dans lesquelles l’imaginaire de chacun peut lui aussi naître et grandir. Ne sacrifiant pas la bouffonnerie propre à Shakespeare à la poésie visuelle, Alessandro Serra et ses comédiens offrent de belles tranches de rires très proches de la Commedia dell’arte. Alors que l’on pourrait reprocher un « Caliban » (Jared McNeill) manquant de monstruosité, on ne peut que mettre en évidence le désir implicite et de l’auteur et du metteur en scène de mettre en avant tout l’aspect colonialiste d’un pouvoir pillant et volant ce qui ne lui appartient pas pour le soumettre à ses propres desseins. Le jeu de Caliban devient alors plus lisible. En facétieuse Ariel , la comédienne Chiara Michelini enchante la scène, virevoltante, poétique comme un souffle de vie magique qui serait la seule à être pleinement emplie d’humanité et dont la véritable force serait d’offrir le don de pardon à son maître Prospero.
Avec peu de moyens sur scène mais avec des images d’une grande beauté, une vision et une troupe de comédiens homogène dans tous les registres, Alessandro Serra parvient à faire adhérer à ce qui fait pour une part majeure la magie du théâtre : l’œil émerveillé des spectateurs, entraînés dans l’épopée par une troupe prête à tout offrir pour que Théâtre prenne forme.
Pierre Salles
Photo C. Raynaud de Lage / Festival d’Avignon