BIENNALE DE VENISE : FEMMES, FEMMES, FEMMES…
Venise, envoyé spécial
59e BIENNALE D’ART DE VENISE – Jusqu’au 27 novembre 2022, Venise.
FEMMES, FEMMES, FEMMES…
La cité lacustre n’a pas encore retrouvé sa fréquentation d’antan – je parle de celle de 2018/2019 – mais ce n’est pas dommage car cela laisse plus de place et de calme pour profiter notamment de la 59ème Biennale d’art contemporain qui a ouvert ses portes le 23 avril pour les refermer 27 novembre 2022 ; appréciable cheminement dans les grandes travées de l’Arsenal et les pavillons du Giardini où les Etats révèlent plus ou moins leur audace…
Prenez la France par exemple, qui avait retenu pour la première fois une artiste d’origine algérienne, Zineb Sedira, pour représenter le pays… Elle a recustomisé tout le pavillon en un gigantesque studio de cinéma, prenant prétexte d’une réflexion sur la fascination qu’avaient les films cultes français dans les pays du Maghreb… le tout, débouchant sur des parodies de films mettant Zineb Sedira en scène prenant, évidement prétexte à des films très audacieux, notamment sur le statut de la femme, pour enfoncer le clou… Hélas, ce film censé représenter la France est… en Anglais, même pas surtitré… On sort déçu de ce rendez-vous qui ne tient pas ses promesses par l’accumulation de clichés qui ne dépassent pas la conversation de comptoir…
Après un pavillon passionnant lors de la précédente Biennale, l’Espagne tape un grand coup mais fait penser à un gag puisque Ignasi Aballí à tout repeint le pavillon en blanc avec quelques petits indices microscopiques, placés dans les lieux improbables, et pour cela, il fait remettre à l’entrée un plan intitulé « Venecia » et avec le titre Mapa… où, comme le pavillon, tout est blanc, sauf six points noirs qui figurent les endroits où voir les petits signalements que l’artiste a laissé, comme dans une chasse au trésor ou un rebus… On pouffe en sortant de là en repensant à la blague que cela dû être lors du vernissage. On repense aussi à Art de Yasmina Reza qui se serait elle aussi bien amusée…
On est surpris de découvrir une installation sonore et visuelle du célèbre groupe de musique Dumb Type, invités du Japon, l’année où l’on remet de Lion d’or au chorégraphe Saburo Teshigawara pour lequel ils avaient composé de nombreuses musiques de scène. Un immense trait rouge projeté vient séparer en deux les murs sur la hauteur, laissant diffuser une musique futuriste de chaos… A l’inverse, on reste moins longtemps dans le pavillon australien où l’artiste Marco Fusinato nous présente Désastre à rendre sourd toute une génération ! La musique est aussi au cœur du pavillon britannique qui reprend des émissions de variété aux reproductions très pop…
La Belgique apporte son lot de films et d’images. On retient celui sur la production astronomique d’orchidées, présentée dans un film instructif qui fait dire que l’industrialisation ne touche pas que les animaux et la bouffe… les fleurs aussi…
Le clou de ce Giardini étant le pavillon américain avec les sculptures bouleversantes de Simone Leigh qui a reçu le Lion d’or grâce à son grand buste « Brick House », mais dont la sculpture féminine en bleu Klein est magnifique.
Autre point d’attraction, le pavillon central où Cecilia Alemani, qui dirige cette 59e Biennale d’Art de Venise, parachève son propos, illustré par le titre générique de cette édition « The Milk of Dreams » qu’on traduirait littéralement par « le lait des rêves », titre qui vient d’un livre éponyme de Leonora Carrington (1917-2011), artiste surréaliste qui décrit un monde magique où la vie est constamment repensée à travers le prisme de l’imaginaire ; un monde où chacun peut changer, se transformer, devenir quelque chose ou quelqu’un d’autre ; un monde libéré, débordant de possibilités. Vaste Allégorie d’un siècle qui a imposé une pression intolérable sur la définition même de soi, contraignant l’autrice à une vie d’exil : enfermé dans des hôpitaux psychiatriques, éternel objet de fascination et de désirs, mais aussi figure d’une puissance surprenante, nimbée de mystères, s’opposant aux carcans d’une identité figée et cohérente. L’exposition « The Milk of Dreams » est truffé de créatures d’un autre monde, aliens et autres monstres, venus d’un futur plus si lointain… Comment évolue la définition de l’humain ? Qu’est-ce qui constitue la vie et qu’est-ce qui différencie le végétal et l’animal, l’humain et le non-humain ? Quelles sont nos responsabilités envers la planète, les autres personnes et les autres formes de vie ? Et à quoi ressemblerait la vie sans nous ?
Quelque 200 artistes internationaux, sont exposés pour répondre à cela et le lien avec les salles de l’Arsenal et le Pavillon de la Biennale dans Le Giardini est cette fois-ci bien plus manifeste et étrange que d’habitude…
Dans cette foisonnante démonstration, on retiendra l’éléphante verte de Katharina Fritsch qui retient l’attention par sa véracité troublante avec l’animal, mais les statues de Latifa Echakhch – The concert – faites de lamelles de bois qui fascinent par leur grandeur comme par le traitement où le chalumeau a cramé certaines parties, faisant penser à l’état de nos forêts après ces grands incendies… Les visions de Stan Douglas et ses images des grèves, violentes, qui poussent les hommes à brûler des voitures sont aussi à mettre en parallèle… impressionnantes aussi les œuvres du Danois Uffe Isolotto, avec son We Walked the Earth, et ces mi femme/homme – mi animal, hybridation qui fait penser aux œuvres en cire de Berlinde de Bruyckere dans ce qu’elle a de véracité avec l’original.
Dans le pavillon central toujours, le travail de Rosemarie Trockel apporte dès l’entrée des faisceaux colorés que la commissaire met en regard avec NAUfraga, une installation de la Chilienne Cecilia Vicuña qui fait penser à certains mobiles d’Annette Messager ou Louise Bourgeois.
Les corps sont hybrides, venus du futur dans cette exposition et l’œuvre L’Hirondelle de Gabrielle Hill qui le démontre avec cette poupée de chiffon aux multiples mamelles.
On trouve dans une salle à la moquette sable quelques peintures surréalistes mais aussi des vidéos de femmes marquantes dans leur art et, face à face, celle de la chorégraphe Mary Wigman et de la danseuse Joséphine Baker.
Les sculptures de requins de Jana Euler, plus vraies que nature. Elles sont à mettre en écho avec les girafes de Raphaela Vogel dans l’Arsenal, multitude de sculptures d’animaux en polyuréthane, tirant consciencieusement un énorme appareil génital masculin bien mal en point, dont les taches du pelage sont remplacées par des trous béants dans la carcasse.
L’immense toile colorée de Jacqueline Humphries, tout comme la toile géante façon Pollock de Marina Simnett dans l’Arsenal se répondent presque et viennent illuminer ce pavillon et appellent à la visite de l’Arsenal qui, ouvre sur des portraits sans visage, faits de têtes masquées comme par un bas, ne laissant voir aucun orifice de Belkis Ayon.
Il faut pousser un rideau géant pour découvrir une sculpture de Niky de Saint Phalle royale, colorée, enceinte, effervescente… Les toiles, rouges et pleines d’objets de Pinaree Sanpitak retiennent l’attention. On peut voir des tapisseries de Myrlande Constant, sorte de tapis illuminés de couleurs chatoyantes et brillantes. Plus loin, on est soufflé par « earthly paradise » de Delcy Morelas, une installation de terre dans des cuves géantes, un peu à la Giuseppe Penone. On peut faire le lien avec le Jardin idéal de Precious Okoyomon ou les fleurs géantes de Tetsumi Kudo.
On retiendra de Noah Davis cet homme à cheval qui ressort dans un noir profond, l’immense tapis, faisant penser à une carte d’un mode vu du ciel, de Igshaan Adams émerveille aussi. On est amusés et inquiets des installations effrayantes de Diégo Marcon, avec ses parents mangeurs d’enfants. On ressent une forte nostalgie avec les œuvres de Robert Grosvenor, sa piscine et sa vespa dans une grande une caisse en bois et, à tout seigneur tout honneur, c’est dans le Pavillon Italien dans l’Arsenal que la vision du monde est à son comble avec ces dizaines de machines à coudre, toutes alignées, vestiges d’un monde industriel qui a quitté l’Europe, nostalgie des codes de l’usine. Qui dit coudre, dit femmes, ainsi le chemin de l’exposition d’achève dans une nostalgie qui reflétait la grandeur de l’Europe aujourd’hui soumise à la production en Asie voire en Russie…
De notre envoyé spécial, Emmanuel Serafini
Image: Uffe Isolotto « We Walked the Earth », pavillon danois, Venise 2022