« GITANS » : JOSEF KOUDELKA AUX 43e RENCONTRES D’ARLES
Josef Koudelka « GITANS » / Eglise Sainte-Anne/ Jusqu’au 2 sptembre 2012 / 43e Rencontres photographiques d’Arles / Jusqu’au 23 septembre 2012.
Arles expose le regard de Josef Koudelka (né 1938 en Moravie, Tchécoslovaquie) sur la population gitane. L’église Sainte-Anne est le lieu privilégié pour retracer la genèse des photos de Gitans de Koudelka, avec ces deux moments essentiels de son histoire marquée par la publication de deux recueils.
Le premier ouvrage est celui de l’arrivée à Paris de Josef Koudelka, lorsque il se remet au travail avec l’éditeur Robert Delpire sur un livre consacré à ses photos de Tsiganes. Ce livre comporte soixante photographies prises pour l’essentiel dans divers campements de Roms dans l’est de la Slovaquie entre 1962 et 1968. Le livre édité chez Delpire deviendra par la suite mythique, il apparait en 1975, sous le titre Gitans, la fin du voyage. Aux Etats-Unis il est édité chez Aperture sous le titre Gypsies. Jamais réédité il reste pourtant un ouvrage de référence du XXe siècle. Après 36 ans d’attente, Josef Koudelka décide d’exhumer une mise en page antérieure de ce projet et republie par la même occasion un choix augmenté de photographies. Cette décision se présente dans la continuité formelle du projet photographique et politique de Josef Koudelka, ne pouvant mettre fin à ce voyage si nécessaire aujourd’hui comme il a pu l’être dans le passé.
Les rencontres photographiques d’Arles livrent à l’intérieur de l’Eglise Sainte-Anne l’unique occasion de voir ces photographies exceptionnelles, tirages uniques qui n’ont jamais tous été exposés dans leur ensemble. Le théâtre est l’angle d’attaque privilégié choisi par Josef Koudelka pour exposer les attitudes gitanes. Avec ce mode de représentation, la mise en scène s’insère entre lui et le monde, mue par le désir de révéler ces personnes se jouant de leur propre image. L’espace photographique de Koudelka développe une théâtralité qui se situe loin de la ville et de ses théâtres aux représentations policées, institutionnalisées. Il fait poindre de cette manière une conception déstabilisante de ces êtres marginalisés, stigmatisés. Le visiteur rompt le temps de la visite avec l’idée qu’il se fait de lui-même, construite par les représentions dominantes des lieux qu’il fréquente habituellement.
La rencontre de Koudelka avec les Tziganes lui à offert des perspectives photographiques mais également symbiotiques. L’appareil photo fixe cette symbiose entre le photographe et la population tzigane. Dès lors Le visiteur ne peut plus se contempler car il expérimente là un point de vue tout autre : des regards aux antipodes de ceux présents à l’intérieur du miroir urbain. L’exemple des transports en communs illustre la représentation commune à ces êtres, lorsqu’un Gitan oriente ses gestes pour subvenir à ses besoins. Regarder son corps, pour les autres usagers, renvoie à son propre corps qui est ancré dans le même monde.
L’une des attitudes qui prédomine est de ne pas prêter attention au corps de l’individu marginalisé, de ne pas le regarder pour ne pas accepter qu’il soit une partie constituante de notre monde. Or les uns comme les autres ne peuvent nier cette évidence. Ainsi l’un marche dans le couloir, montre que son corps existe, produit du bruit en entrechoquant de la petite monnaie, et l’autre assis ou debout ne souhaite qu’une chose : faire en sorte que son corps ne soit plus là, le temps de ce passage. Il s’enfonce dans son siège, se rapproche des vitres pour montrer que ce corps étranger ne le constitue pas. Il se ment en choisissant l’indifférence, car il sait profondément que cet autre lui est indispensable pour constituer une juste image de lui.
Josef Koudelka parvient avec sa photographie à renverser les rapports en développant la part essentielle des Gitans dans le monde à travers leur humanité. L’espace représentatif renvoie au chemin effectué par le photographe pour que puisse advenir la rencontre avec ces corps. Chaque photo développe une posture propre, un cadre prédéfini dans lequel il laisse librement les postures s’engager. Il imbibe tout entier sa marque au sein de l’image mais sans que puisse se dessiner aucun a-priori de ce qui peut advenir.
Une prise de vue frontale, un sujet centré approximativement. Les protagonistes se détachent sur un fond toujours choisi minutieusement. Le dispositif est celui du face à face, marque de découverte et de la reconnaissance de l’autre. Ces procédés rappellent ceux des photographes ambulants, ces personnes d’un autre temps qui se portaient au devant des populations allant de villages en villages.
Or ici, le dispositif n’est pas celui de la chambre noire sur pied, c’est l’outil à main.*Le viseur mobile et très rapide, toujours proche de la rétine accompagnant les pérégrinations du photographe et les postures du corps jusqu’aux plus infimes mouvements de la tête. Le corps s’impose à lui-même, il affirme sa présence, son appartenance au monde. L’effet produit est alors paradoxal car les Gitans semblent diriger le photographe, suggérer un point de vue plutôt qu’un autre.
A la sortie de cette exposition une question reste en suspend : qui met en scène qui ? Dès lors une chose se dessine à l’intérieur de ce flou représentatif : la possibilité qu’advienne une rencontre. Josef Koudelka ayant fait comme à l’accoutumé la moitié du chemin.
Quentin Margne
43e Rencontres photographiques d’Arles / Du 2 juillet au 23 septembre 2012 / Tous les jours de 10h à 19h / Josef Koudelka « GITANS » / Eglise Sainte-Anne.
Visuels : Josef Koudelka « Gitans » / Copyright Josef Koudelka / ADAGP