PROGENITURES : TAL BEIT HALACHMI S’EMPARE DU TEXTE DE PIERRE GUYOTAT

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Tal Beit Halachmi : Progénitures / D’après le texte de Pierre Guyotat / Théâtre de la Bastille / Dans le cadre du festival Faits d’hiver / 16 – 18 février 2013.

Tal Beit Halachmi s’empare du texte de Pierre Guyotat et signe sur le plateau du Théâtre de la Bastille une troublante mise en chairs. Performance à la fois physique et sonore, Progénitures ménage des moments d’une rare intensité.

Se mesurer à la fureur bouillonnante des textes de Pierre Guyotat, se frotter à son écriture âpre, crue, brutale, déstabilisante de par son infinie musicalité, implique le risque de se faire emporter par un terrible courant de vie, d’être écartelé par des flux insatiables, de finir écrasé par la matière lourde d’une langue bâtarde qui puise sa force directement aux entrailles. Tal Beit Halachmi jette dans la bataille son propre corps, dans une étreinte qui remue les chairs. A la fois sanctuaire et totem archaïque païen, une structure en métal trône au centre du plateau. Placée sous la tutelle de Louise Bourgeois, et de ses sculptures arachnéennes, les espaces protégés dans la convexité de ses arches se chargent également du magnétisme des limbes que tentent de saisir les œuvres pariétales de Giuseppe Penone. Mais pour l’instant, cette structure imaginée pour la pièce par Julien Massé guette dans la pénombre, interrogation incontournable au cœur du dispositif scénique.

Dans une obscurité dense, Tal Beit Halachmi approche le bord du plateau, apparition pesante et fragile à la fois, sur des plateformes vertigineuses. Corset en cuir rigide et lacets et singles gainent un corps qui surprend, interpelle le regard, tout comme la musicalité sauvage du texte, ses accents brusques, ses voyelles broyées ou étirées outre mesure accrochent l’oreille. La tension entre les mots devient insoutenable, un bras s’écarte lentement, une grosse larme s’écoule sur le visage impassible.

La pulsion sexuelle, la violence du monde crient leur droit entre les larges jambes écartées, entre les dents serrées, elles se fondent dans une exhalation brulante, lourde. La performeuse existe seulement par et pour le texte : sonorité, respiration, gémissement, hurlement. Suspendue, écartelée, elle se frotte ou empoigne les barreaux métalliques de la structure, acquiert la consistance fascinante et monstrueuse des poupées des Hans Belmer, automate désaxé mené par un désir qui le dépasse. Le texte continue à sourdre de sa bouche, chant, incantation, litanie, imprécation, chuchotement, messe de la chair, berceuse. Les mots sont gras, juteux, tranchants, terribles. Une membrane se déchire, de la terre se déverse par cette fente, écrase au sol, lui colle au corps. Les mains frappent les barreaux, la structure se met à trembler, le rythme s’accélère, la voix pousse dans les aigus, ses échos se répondent, s’entrelacent, comme autant des fils d’araignée, envoutants qui cernent le plateau.

Des lambeaux de chair de la langue, enfouis, écorchés, triturés à vif, remuent un vortex de sensations viscérales dont Tal Beit Halachmi est à la fois l’instigatrice et le support. Les images d’Antoine d’Agata guettent toujours dans les franges, mais la performeuse sait concentrer les énergies indicibles dans sa gestuelle à la fois excessive et hiératique. Nul ne sort indemne de cette épreuve de force.

Smaranda Olcèse

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Photos DR / copyright Tal Beit Halachmi

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