BIENNALE DE LYON : « RESONANCE 2013 », JOSUE RAUSCHER ET MURIEL RODOLOSSE
Muriel Rodolosse & Josué Rauscher / Dans le cadre de Résonance / XIIe Biennale de Lyon / Fondation Albert Gleizes (Isère) / Du 14 septembre au 27 octobre 2013 / Du 14 septembre au 27 octobre 2013 du jeudi au dimanche de 14h à 18h et sur rendez-vous.
Muriel Rodolosse
Le travail de Muriel Rodolosse est très physique. Ce sont des œuvres gigantesques, surfacées de Plexiglas® où la narration, profuse, est à la fois capturée et libérée par des tensions magistrales, presque provocantes.
C’est un travail sur la matière dimensionnelle : la question de l’instantané, du présent progressif, fugitif. La force dégagée en lutte avec la menace de la fugacité. La question du regard, aussi ; ce que nous voyons, ce qui nous regarde.(*)
Dans son mode opératoire, par la technique de la transparence, l’artiste, tel un nerf optique, se place derrière sa peinture pour inverser le processus temporel, la chronologie : elle commence par la fin et termine par le début. Elle élabore par différents envers dimensionnels : l’endroit de l’envers, renverse, traverse, restitue l’inverse.
Muriel Rodolosse utilise la matière comme un temps additionnel, travaillée par phases rebroussées : l’avant-scène, le premier plan. Puis, le deuxième, puis un troisième champ, l’écho d’un quatrième, la mise en abyme par un cinquième. Etc. A chaque dimension s’ajoutent d’autres temps, latéraux, sidéraux, d’infinies relativités temporelles et mémorielles. Le plus ancien devient le plus récent, le plus lointain est le moins distant. A l’inverse, le fond, l’arrière, le ciel est la dernière dimension investie. Occupe finalement son statut d’absolu, d’infini.
Cette narration sur le temps et le regard prend l’excursion du mouvement, du déplacement, mis au coeur, au centre de ces instantanés scéniques et densifient la fixité. Suspension imposante. Personnage, animal, végétal, architecture, accessoires très temporel figent l’intemporel, dans leur cohabitation pacifique, apparemment indifférente ; ils nous fixent, tissent entre eux des lignes de force, parlementent sur l’équilibre, entre l’inertie et la cinétique. Entre masses et intensité. Les pièces maîtresses de l’équilibre sont matrices des points de chute, de vertige. Ces éléments tendent des mondes invisibles que l’on perçoit tenir l’ensemble, auxquels les personnages appartiennent de façon indépendante, déterminée. Et, frontalement, nous déstabilisent.
Le blanc est omniprésent, presqu’omniscient : son silence est envahissant, moelleux ou incisif, envoûtant. Un grand calme distant qui révèle l’énergie de la couleur, des histoires qu’elle raconte. Ce sont des tableaux. Des tableaux traversés par des figures narratives, d’un détail minuscule à la présence qui s’impose en métaphore excédée, cérébrale et organique, qui rendent l’œil gourmand et crée un certain langage de sentiment, déroutant.
L’oeuvre est très plastique. Optique. Un corps à corps, un champ de force entre le format et l’histoire, entre l’échelle et le regard. Lien fascinant entre l’attraction et la distance. L’écran du Plexiglas®, telle la membrane oculaire, rejette l’effraction tout en laissant passer le message, la lumière. Œuvres saisissantes pour le spectateur, étourdi, magnétisé, son point d’équilibre perturbé par la surdimension, la luminosité et perturbé par la surface miroir du Plexiglas® où rebondit son propre reflet, son double inversé, où se réverbèrent les scènes mobiles, furtives, passagères qui glissent et cryptent partiellement, momentanément, puis s’éloignent pour que d’autres leur succèdent.
Le mouvement perpétuel de ce que nous voyons qui nous regarde.
(*) « Ce que nous voyons, ce qui nous regarde. » – Editions de Minuit, Georges Didi-Huberman.
Josué Rauscher
Un sentiment d’archéologie. Face aux pièces de Josué Rauscher, on emprunte plusieurs lectures possibles et finalement une l’emporte.
Une poétique politique est prégnante dans le travail de l’artiste. On récolte du regard des objets issus de l’abandon, on découvre ce qui demeure de leur nature ouvrieuse, révélée par la nudité. Disposés dans le silence de leur fusion, des vestiges de fonderie, de bâti, pierres angulaires de cheville ouvrière, sont les témoins d’une grandeur disparue, on entend dans le silence le fracas d’une chute précipitée. Les pièces sont disposées sans encombrement sentimental, ni solution émotionnelle. Une disposition objective, au gré d’un dispositif temporel, fonctionnel. Structurée. Le sol, l’horizontal est la stature neutre de la démonstration. La verticalité s’absente ou se fragilise.
La symétrie, la duplication, la répétition, le nombre illimité de ces éléments évoquent l’anonyme. Ces pièces modestes, ont toutes des éléments de structure, de solidité. Leur tenue vainc sur la fonction ultime, culte de l’Unique auquel leur contribution était destinée. Socle impersonnel, interchangeable, renversé, largué, occupé par sa solitude. Solstice d’hiver, crépusculaire. On sent dans l’ancienne nature de puissance, la chute d’un funambule. Ces pièces humblement modestes sont ce que l‘on peut imaginer qu’il reste de Rester.
Un itinéraire de rebuts, des pièces de moulage, des tiges de coulée, nourricières, que l’on destine d’ordinaire à la disparition, sont là objets témoins, l’art les réhabilite dans un nouvel usage, celui de témoigner. Une figure, imprimée, parcours circulaire, enchevêtré de lui-même … et un fin fil s’en échappe, à qui voudra l’attraper. Si l’on tire dessus, on fait des nœuds ou on libère ?
Un fémur humain, d’un homme d’1,76m, la taille de l’artiste pour gabarit, ponctue l’installation. Unité de mesure, échelle humaine parmi des restes de stèles, de piédestaux, de socles étêtés, découronnés. Vestiges de démantèlement, d’enlèvement de statuaires, d’anciens imaginaires. Destitution symbolique de grandeur surnaturelle, d’une effusion surhumaine. Si l’idée du pouvoir peut s’apparenter à une prothèse, artificielle, l’humour de ce fémur, prophétique, ramène à l’échelle 1 le centre de gravité.
On pense à une récolte archéologique, mais l’archéologie elle n’est pas enfouie dans l’œuvre, elle est actuelle. Elle ponctue la redite, le bégaiement, la répétition en temps réel. Ces pièces ont un présage d’anticipation, ce que l’acte de se souvenir et de rappeler garde en mémoire. Et d’illustrer, peut-être, que la motivation est à sa facilité circulaire, peu à l’audace de l’échappée ascensionnelle.
S’invite délicatement ‘Melancholia’ d’Albrecht Dürer, la gravure d’une cosmogonie complexe et mystérieuse contenue dans l’espace-temps congru d’un petit atelier. Quelque chose de similaire dans l’inventaire des apprentissages, des outils, des acquis, leur espace, qui questionne le curieux paradoxe entre la Connaissance et l’usage qu’on en fait. Des objets silencieux, encore gris de leur sable à vert de moulage, inachevés d’imprimerie, désensevelis du silence des sédiments. Enumération sérielle d’une ironie, marque de fabrique humaine, disposée avec humour par l’artiste. La réplique de son fémur pour guide.
L’exposition de Josué Rauscher est en résonance avec celle de Muriel Rodolosse, à Moly-Sabata. Un travail sur l’échelle, le regard, le temps, la mémoire. Même si spatialement les deux expositions sont ‘dos à dos’, elles se font pleinement face. Vibrent en résonance.
Katia Jaeger
Muriel Rodolosse & Josué Rauscher à Moly-Sabata / Fondation Albert Gleizes (Isère). Du 14 septembre au 27 octobre 2013 du jeudi au dimanche de 14h à 18h et sur rendez-vous.
L’ensemble des oeuvres de Josué Rauscher et de Muriel Rodolosse compose l’exposition L’Inventaire présentée d’avril 2013 à août 2014 en quatre lieux patrimoniaux du territoire des Vals du Dauphiné :
La Halle de la Tour du Pin,
Le Château de Virieu,
Le Palais du Parlement de Grenoble,
Le Musée Gallo-romain d’Aoste.
http://murielrodolosseetjosuerauscher.wordpress.com/
Josué Rauscher /// Résonance 2013 / Site de l’artiste, Josué Rauscher
Photo : © Josué Rauscher