ENVOÛTANT(E) MEDEE, POEME ENRAGE, A LA MC 93
Médée, poème enragé : Jean-René Lemoine / MC93, Bobigny / jusqu’au 23 mars 2014.
Médée fait partie de ces héroïnes mythiques qui ont traversé les siècles et les interprétations, cinématographiques ou picturales. Elle a fasciné de nombreux écrivains, de théâtre ou non, d’Euripide à Pascal Quignard, en passant par La Péruse. Et elle a inspiré Jean-René Lemoine, auteur, metteur en scène et récitant de Médée, poème enragé, « opéra parlé ».
La musique commence dans un noir complet. Puis c’est la lumière. Et déjà, le saisissement. A la vue de cet homme féminin, à peine maquillé, portant une tunique de satin noir. D’une beauté déroutante et éclatante sous le projecteur. Jean-René Lemoine est accompagné d’un musicien, Romain Kronenberg, mais seul derrière un micro, tour à tour Médée, narrateur ou Créon. L’espace scénique, territoire vide, simple et juste, est délimité par une bordure dorée, qui l’emprisonne et dans lequel il se perd.
Médée raconte. Comment elle s’est éprise instantanément de Jason, venu chercher la Toison d’or en Colchide. Comment elle s’est enfuie avec lui, quittant sa famille et sa patrie, son frère incestueux, Apsyrte. N’hésitant pas à le tuer et à le dépecer, à semer ses membres derrière elle pour retarder les poursuivants. Comment elle a aidé Jason à tuer Pélias. Comment, bannis, ils ont été accueillis par Créon, à Corinthe. Elle rapporte l’abandon et la répudiation de Jason, qui lui a préféré la fille du roi, Créuse. Et puis les meurtres. De Créuse. De Jason. De ses enfants. Son retour sur ses terres natales.
Elle ne se justifie pas, n’exprime pas de regrets, ne demande pas à être graciée. Elle raconte comment. Avec poésie mais sans pathos. Dans un discours construit en 3 mouvements, la genèse, l’exil et le retour, fait de prolepses et d’analepses. Dans une langue violente, parfois frénétique, parfois hypnotique, répétitive et lancinante. Toujours enivrante. Qui devient une musique, presque une incantation.
On voit et on comprend. Parce qu’il y a tout.
La solitude de celle qui a renié ses origines, son identité, a tout fait pour se transformer en « occidentale », mais qui sera toujours considérée comme la barbare, l’étrangère, la paria.
La faiblesse de la femme amoureuse au-delà de toute raison. La puissance du désir d’être aimée. La dépendance de celle qui veut tout de lui, « car (elle) n’a d’autre terre (…) que (son) corps » et que « (sa) peau sera toujours (son) territoire. » La peur de l’abandon, l’acceptation des humiliations les plus sordides.
La force d’une héroïne agissante, qui à l’inverse d’une Ophélie ne se tue pas par désespoir.
Elle décide, elle transgresse.
Jean-René Lemoine donne à Médée le droit à la parole. Ne nie pas sa monstruosité,, mais la montre surtout humaine. Et c’est déjà beaucoup, même si la conclusion désenchantée du spectacle est qu’il n’y a pas d’amour.
Caroline Simonin