PHILIPPE QUESNE REPREND « LA MELANCOLIE DES DRAGONS » AUX AMANDIERS
Philippe Quesne : La Mélancolie des dragons / Théâtre des amandiers / 7 – 18 janvier 2015.
Comment parler de la beauté le jour même où une telle horreur vient d’avoir lieu ? Le choc est immense. J’ai hésité jusqu’à la dernière minute : la plupart des gens que je connais, que j’aime et que je respecte étaient déjà Place de la République, rassemblés en silence, au delà des mots d’ordres réducteurs, des slogans et récupérations de tous bords.
Je suis finalement allée au théâtre. Mais pas n’importe quel théâtre et pas n’importe comment. Je suis allée à Nanterre, au théâtre des Amandiers, qui est depuis peu la maison de création de Philippe Quesne. Je savais pertinemment que quelque chose d’autrement nécessaire s’y jouait – au delà du militantisme, de l’art engagé ou d’autres formules galvaudées, quelque chose qui a trait à la beauté et à l’intelligence d’un être ensemble. Il faut justement parler de la beauté. Il faut parler de la douceur, du flottement, de l’insistance jamais autoritaire, de la poésie toute en simplicité qui enrichissent chaque instant de cette ancienne création, plus que jamais actuelle.
La Mélancolie des dragons respire la nécessité toujours renouvelée de donner du possible, d’ouvrir des mondes, de réinventer des manières d’être au quotidien. Philippe Quesne pose un geste artistique simple et infiniment généreux : mettre à disposition tous les éléments d’une création pour que les personnes en présence, public tout autant que performers puissent participer à l’avènement des choses. Je reviendrais ailleurs de manière plus détaillée sur cette pièce qui acquiert de nouvelles résonnances du fait que Philippe Quesne ait pris en charge la direction du Théâtre des Amandiers, formidable machine de production, entre le grand plateau, ses salles et ateliers annexes, aux abords du parc de Nanterre, ouvert sur son environnement proche et rayonnant jusqu’à Paris. Gageons que ce parc désormais culte dont les sept protagonistes cherchent chaque soir le nom sur scène, oscillant de manière fertile et hautement significative entre divers intitulés tels, le parc de dragons, le parc Durer, le parc Goya, le parc AC/DC ou encore le parc Antonin Artaud, est en train de se bâtir au jour le jour, au cœur du réel, dans une belle préfiguration de rêves communs. Tout est à inventer et il est exaltant de se laisser gagner par cette dynamique, douce et néanmoins terriblement obstinée !
Les outils sont déballés un à un, dépliés patiemment, explicités : la lumière – nocturne, onirique ou rouge intense, le son, ainsi que la musique, qui remonte du rock des années 90 aux aires baroques et aux harmonies classiques, la fumée, la neige, dans une invitation lancée à chacun d’enclencher son imaginaire.
Objet d’une grande beauté plastique, La Mélancolie des dragons se déploie avant tout comme une invite à s’impliquer. Sur scène, Isabelle Angotti nous offre un point d’ancrage, met en partage son émerveillement enjoué, jamais niais quant aux propositions imaginées avec des bouts de ficelles, quant à la fabrique, quand aux façons presque magiques dans leur simplicité de faire advenir les choses.
Encore une fois, donner du possible, montrer qu’avec trois fois rien on peut créer, poser, en toute simplicité les conditions d’existence d’une autre manière de faire, d’une autre façon d’être ensemble. Prendre du temps, se donner de l’attention et de l’écoute, agir tout en douceur, avec énormément de respect pour l’autre.
Oui, il est plus que jamais nécessaire de considérer les choses dans leur complexité.
Smaranda Olcèse
Photos Pierre Grosbois, Martin Argyroglo