« OTTOF », « EXTREMALISM », « LE FANTÔME DE MONTPELLIER… », MONTPELLIER DANSE

OLYMPUS DIGITAL CAMERA

OLYMPUS DIGITAL CAMERA

Ottof, Extremalism, Le fantôme de montpellier rencontre le Samouraï / Festival Montpellier Danse.

Ce sont trois propositions radicalement différentes qui s’enchaînent dans différents lieux de la ville pour Montpellier Danse, 35e édition. Bouchra Ouizguen, le Ballet National de Marseille (dites BNM quand vous êtes branché) et Trajal Harell présentent chacun leur dernière création, en exclusivité mondiale pour les deux plus jeunes chorégraphes.

Trois spectacles à l’esthétique, l’énergie et la volonté dissemblables, voire opposées mais qui reposent tous les trois sur la notion de vide et de plein. Chaque auteur pense son esthétique et son propos pour être dépouillé ou décoré avec plus ou moins de goût et d’à-propos.

Bouchra Ouizguen, Ottof
Le vide rempli de son plein c’est le plein*
Le plateau est nu, le plateau est vide. Venant du public pour s’encastrer au centre de la scène, dans une obscurité qui se résoudra tout au long du spectacle, apparaît un femme, ou peut être un monstre. Un monstre d’humanité qui se tourne pour venir nous regarder, pleinement. Le vide de la scène se rempli de ce corps, de ce regard. Notre persistance rétinienne inscrit se rapport de l’un à l’autre au fond de nos yeux. On n’est jamais au Maghreb, on est chez les expressionnistes allemands aux regards courroucés. Quand la musique démarre, une musique résolument contemporaine, hors de tout temps, hors de tout lieu et donc de tout folklore, la pièce bascule dans un univers mental, celui de la relation amoureuse. On est en camera subjective, à l’intérieur même de la pensée des femmes. Malgré tout, même si l’on est dans la pensée, le corps est sur-présent. Ce corps hors-cadre parce que non habituel sur les plateaux de théâtre : des corps de femmes arabes, vieilles et qui osent montrer ce corps dans des états inouïs (ou in-vus) comme la transe masturbatoire, la fureur non-hystérique ou l’épuisement d’amour.

Les lumières d’Eric Wurtz font magnifiquement basculer les images d’un univers à l’autre avec violence mais cohérence pour tout mélanger : le sacré, le populaire, l’impie, le tribal… la scène devient un autre monde, moins normé, plus complexe et contradictoire donc plus humain, plus plein.

La salle n’était pas remplie, mais les spectateurs qui ont réussi à se libérer à 18h en pleine semaine (!) en sont repartis conquis, nous aussi, c’est le plus gros coup de cœur de cette première semaine de festival.

Le Ballet National de Marseille, Extremalism
Le plein vidé de son plein c’est le vide*
En théorisant ce concept d’Extremalism, Emio Greco et Pieter C. Scholten prennent le risque de se fâcher avec tous les mondes de la danse. L’extrême classique déplaira aux contemporains quand le minimalisme contemporain repoussera les classiques. Créer une danse pour tout le monde risque de ne plaire à personne…
Le ballet, assez jeune et garni d’une partie de la compagnie des danseurs de l’ICKAMESTERDAM a encore du mal à résonner d’un seul geste, d’un seul souffle. Il faudra encore quelques années pour que la patine se fasse et que le groupe devienne troupe. Malgré quelques balbutiements, beaucoup d’éclats de brio arrivent à nous… notamment grâce aux solistes de la compagnie néerlandaise. Dans une ambiance franc-maçonne à la sauce mozartienne, les corps disent le minimum mais de façon extrême. Il est regrettable de cacher ses corps sous une couche affreuse de laine tombante qui, outre son esthétique discutable, empêche de voir les corps et les visages, comme si on cherchait à nous empêcher de voir et de comprendre les intentions… à moins qu’en fait il n’y en ait pas.

Malgré tout, certaines scènes, débarrassées du maniérisme des décors, des costumes et de la musique, sont assez nettes et avancent à un bon rythme. L’espace est rempli de corps, les corps s’emplissent de mouvement mais le tout reste un peu vide de sens et de propos.

Trajal Harrell, Le Fantôme de Montpellier rencontre le Samouraï
Le vidé vidé de son vide c’est le vide*
Trajal Harrel compose une fable sur la vacuité. De cette fausse histoire naîtra une double chorégraphie en hommage au fantôme de Montpellier (Dominique Bagouet) et au Samouraï (Tatsumi Hijikata). Les deux parties du spectacle se répondent en écho : une sur la vacuité du langage, l’autre sur la vacuité des corps. Si la première partie laisse à désirer, la seconde (quand on arrive à rentrer dedans après une heure d’excès de langue) s’avère réjouissante car, à l’image de notre monde en 2.0, elle mixe une foultitude d’images en un mash-up légèrement crémeux mais parfaitement déroutant. Les danseurs ne sont pas de grands improvisateurs théâtraux et remplir le vide de rien n’est pas donné à tout le monde. Ils n’arriveront pas, le soir de la première, à faire face au mur glacé que renvoient les spectateurs immobiles et engoncés. Ils font le job, mais sans le brio que pourraient avoir de grands comédiens improvisateurs, sans le brio nécessaire à ce type de proposition. En revanche, la suite du spectacle, sorte de Fūjon DBZ** entre Kate Moss et Rauschenberg est une vraie proposition sur le corps dégenré, à la fois féminin et masculin, sur la musique trouble, sur l’espace explosé. Autant la première partie s’essouffle vite du rien, autant la seconde se réjouit du trop plein.

Que l’on travaille sur le trop comme Trajal Harrel ou sur le moins comme Bouchra Ouizguen, les propositions fortes ne manquent pas en ce début de 35e Festival de Montpellier Danse. Des propositions qui viennent chercher le public dans son siège et non, comme pour le Ballets National de Marseille, des spectacles qui créent « du vide de ce qui, privé en soi de toute relation, persiste et s’obstine dans une fade uniformité ***».

Bruno Paternot

* vers du poème Autre secret du vide et du plein de Gherasim Luca (Héros Limite, le Principe d’incertitude, NRF)
** Dans le dessin animé Dragon Ball Z, les personnages fusionnent eux afin de créer un avatar sur-puissant au combat.
*** Martin Heidegger, Identité et différence, in Question 1, Gallimard 1968.

Visuel : « Ottof, photo Eric Wurtz

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

  • Mots-clefs

    Art Art Bruxelles Art New York Art Paris Art Venise Biennale de Venise Centre Pompidou Danse Festival d'Automne Festival d'Avignon Festivals La Biennale Musiques Palais de Tokyo Performance Photographie Théâtre Tribune
  • Archives