« QUARTETT », UNE PERFORMANCE INTENSE DE ROSAS + TG STAN
Bruxelles, correspondance.
Quartett – Rosas & tg STAN – Kaaitheater, Bruxelles – Du 23 au 26 janvier 2019.
Les portes de la salle ouvrent tard (ce qui permet de profiter de l’agréable bar et – pourquoi pas – du restaurant du Kaaitheater), et quand le spectateur entre, la musique est là, bien présente. Le spectacle n’a pas encore commencé mais les danseurs sont déjà en place. Ils sont deux. Cette œuvre a été montée pour la première fois en 1999 au Kai et ce sont les mêmes danseurs sur scène : Cynthia Loemij et Franck Vercruyssen.
Pour Quartett, la chorégraphe n’a pas travaillé seule, elle s’est associée à STAN pour revisiter le grand classique que sont « Les Liaison Dangereuses » de Choderlos de Laclos. Frank Vercruyssen de tg STAN et Cynthia Loemij de Rosas ont choisi le texte d’Heiner Müller qui résonne si bien sur les pas de danse saccadés (chers à ROSAS) avec ses phrases souvent dures, parfois drôles et toujours incisives. L’histoire c’est un duel entre un homme (le « Don Juan » qu’est Valmont) et une femme (Madame de Merteuil, la « Marquise » comme il l’aime à l’appeler). Il y a aussi cette référence au temps qui passe (l’allusion au miroir revient à plusieurs reprises) que le spectateur met en parallèle avec ces deux danseurs, qui sont là devant nous, avec 20 ans de plus chacun.
Spectacle de danse, s’il en est, Quartett est bien plus que cela. Le texte est omniprésent. Les paroles tiennent plus de place que la musique, qui est réduite à de courts moments dans cette performance intense d’une heure très exactement. C’est une véritable joute oratoire, à la fois sensuelle et cruelle. Mais au-delà du dialogue amoureux, le texte parle de la terreur, de la terreur entre un homme et une femme. A l’époque de son écriture, Heiner Müller parlait de l’Allemagne de l’Est avec cette référence dans l’incipit à « un bunker après la troisième guerre mondiale ».
Aujourd’hui, ces mêmes paroles trouvent un écho étonnant avec l’actualité de la campagne « MeToo ». Il faut saluer, ce tour de force des danseurs-acteurs, qui dansent (surtout elle) et parlent, mais aussi qui alternent le rôle de l’homme et de la femme. C’est dans cette confusion des identités, parfois troublante, souvent poignante, que le spectateur trouve la plus grande hardiesse du spectacle : comment résonnent les mots d’un homme quand ils sont prononcés dans la bouche de l’autre sexe ?
Enfin, on salue cette fidélité d’Anne Teresa De Keersmaeker à ses œuvres, à ses danseurs, et même si on n’a pas vu le spectacle en 1999, on est émus de le voir (ou le revoir) au Kai 20 ans après. On aime ce texte de Müller et on ne peut qu’être d’accord avec lui quand il énonce : « Les gens disent que mes textes sont difficiles, mais il faut simplement les faire et tout devient simple ». C’est vrai. Mais, à savoir, pour les amoureux de la danse ou de la musique, ce spectacle va bien au-delà : beaucoup de moments sont sans musique, et même sans danse. On aime ou on n’aime pas mais une chose est sûre, on n’en sort pas intact.
Colombe Warin
Concept Anne Teresa De Keersmaeker, Jolente De Keersmaeker, Cynthia Loemij, Frank Vercruyssen | texte Heiner Müller, Quartett | interprété par Cynthia Loemij, Frank Vercruyssen | affectez la valeur & éclairages Herman Sorgeloos, Thomas Walgrave | costumes Un Huys | production tg STAN, Rosas | coproduction 1999 Kaaitheater | coproduction 2019 De Munt/La Monnaie | premiere 03/04/1999, Kaaitheater | Rosas est pris en charge par la communauté flamande
Photo Anne Van Aerschot