FESTIVAL D’AVIGNON. « ALL OVER NYMPHEAS », SENSUALITE ET GRÂCE
76e FESTIVAL D’AVIGNON : All over Nympheas – Emmanuel Eggermont – 8, 9 11 – 13/07 – Gymnase du Lycée St Joseph
BLUE LAGOON
Pour son retour au Festival d’Avignon, loin et sans son maitre Raimund Hoghe, malheureusement disparu, son danseur fétiche Emmanuel Eggermont revient avec All Over Nymphéas, un quintette baigné de bleu, envoutant.
La scène du Gymnase du Lycée st Joseph est marqué au sol par une forme géométrique bleu pétrole et suspendus, trois mobiles à la Calder faits de lames de métal.
Le chorégraphe danseur Emmanuel Eggermont, physique à la Alain Bashung jeune, entre à cour, encapuchonné, avec, en parallèle à jardin, Mackenzy Bergile, engoncé lui dans un anorak molletonné… Eggermont quitte sa capuche et par ce geste unique du poignet et de la main, donne le signal d’un marathon de sons et d’images qui durera 1h20 et nous fera nous transporter dans un monde de bleu et de beauté…
All Over Nymphéas prend comme appui la célébré toile de Monet « Les Nymphéas », références idéales pour parler du motif de répétition, mais qui prend appuis aussi sur l’œuvre de Jackson Pollock et le courant américain du « All Over ».
Cette nouvelle création fait suite à la pièce Πόλις (Polis) pour laquelle Emmanuel Eggermont s’est inspiré de Pierre Soulages et principalement de sa série Outre Noir, qui est le premier volet d’une étude « chromato-chorégraphique », défi que s’est lancé le chorégraphe et qui a donné lieu à Aberration, tout en blanc, basé sur le travail de Roman Opalka et à La Méthode des Phosphènes, basée sur la lumière…
Dans cette pièce, l’essentiel du vocabulaire du chorégraphe, porté par lui-même et ses quatre danseurs s’impose.
Sans doute amoureux des mathématiques, Emmanuel Eggermont combine les comptes et la géométrie. Il dessine des lignes claires qui sont ici les fondements d’une poétique colorée, sobre, graphique où le bleu tient le haut du pavé : électrique au sol, chamarré sur les costumes.
All over Nymphéas fait voyager dans un univers simple et intense. Cette pièce impose une rêverie. On sait qu’en sortant, le soleil va nous éblouir tant ces bleus réhaussés de verts non seulement renouent avec la toile de Monet mais nous poussent dans l’abandon dans lequel le chorégraphe veut nous laisser.
Tous les danseurs, sous emprises, conservent, complètent et tiennent le geste fluide, subtil et parfois drôle sans le chercher. Tout est codifié, prend sens dans son déroulement. Des hommages, à travers des images, à Ramund Hoghe sont glissés çà et là : les talons, les lunettes de soleil, la mue du chorégraphe… Le rythme des pas, tout s’enchaine pour nous faire courir dans l’étroit couloir dans lequel le chorégraphe nous mène sans brutalité… Même les cuirasses argentées ne servent pas à se défendre. Elles deviennent des œuvres d’art, sorte de compression de César, posées au sol, qui nous observent, tranquilles, apaisées.
Les mobiles ont été relevés, Emmanuel Eggermont – enfin nu ! – soupoudré de rose et de dos, la répétition de la pose se décline avec les danseurs… Personne ne se touche dans cette pièce. Pas de portée. Pas de duo à la Romulus et Rémus. Aucun affrontement. Des marches, des bras graphiques, déchirent l’espace… mais tout est sensualité et grâce.
Un moment unique dans ce festival qui grouille de tracts et de sollicitations. Une pièce aboutie qui séduira les contemplatifs, les autres, passez votre chemin… laissez-nous baigner dans cette mare de nymphéas.
Emmanuel Serafini