ALDA FENDI, LA GARDIENNE DU FORUM ROMAIN

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Rome, Correspondance.
ENTRETIEN : Alda Fendi par Raja El Fani.

Alors que Rome traverse une tempête judiciaire et se prépare à des élections municipales, la Fondation Alda Fendi s’agrandit et se propage discrètement dans la capitale italienne, avec plusieurs sièges disséminés entre Via Giulia, la Piazza Venezia et le Forum Romain. Peut-être sans le savoir, la mécène venue de la mode, Alda Fendi, est en train de créer une nouvelle jonction là où, durant le Fascisme, les grands travaux de réaménagement urbain avaient fragmenté le cœur du site romain qui est aussi, et toujours, le centre-ville de Rome aujourd’hui.

Contrairement aux autres, Alda Fendi n’investit pas dans des ex-structures industrielles mais réaménage des palais anciens comme le Palais du Vélabre dont les travaux en cours sont confiés à Jean Nouvel. Le secret d’Alda Fendi est d’affronter les périples bureaucratiques qui habituellement découragent les privés, et voilà comment la mécène romaine se retrouvera bientôt sans rival en plein centre de Rome. Un avantage durement obtenu que la fondation se prépare à faire valoir à travers un nouveau modèle culturel qu’Alda me dévoile en exclusivité, un an avant l’ouverture de la nouvelle Fondation Alda Fendi.

Alda Fendi me raconte comment Jean Nouvel a pris conscience de l’importance historique du lieu où revivra le Palais du Vélabre qui se trouve exactement où est née la Rome impériale, une sacralité indéniable qui oblige à une humilité et à un respect inconditionné du site. Les détails du projet seront officiellement révélés au public trois mois avant la fin des travaux, suivant la stratégie médiatique d’Alda Fendi. Une politique attentivement étudiée pour parvenir à une distinction complète de la Fondation Alda Fendi des autres fondations culturelles. Alda Fendi réussira-t-elle son pari ? Rome aura-t-elle enfin sa Factory ?

Inferno : La nouvelle Fondation Alda Fendi ouvrira en automne prochain. Comment es-tu passée de la mode au mécénat ?
Alda Fendi : Après quarante ans avec un grand génie comme Karl Lagerfeld. C’était une expérience de constante créativité qui m’a beaucoup appris et fait faire des précieuses rencontres. Notre entreprise était en fait une grande création qui se basait sur l’artisanat mais aussi sur la poésie et dont le secret était d’avancer dans la recherche, de toujours surprendre, de faire toujours plus. Chaque année la presse nous disait qu’on s’était surpassé, qu’on ne pouvait pas faire mieux, et chaque année on arrivait quand même à prouver le contraire, on allait au-delà de ce que tous pouvaient imaginer. C’est ça le plus important: rester actuel, surtout dans le monde de la mode, plus que dans le monde de l’art, la péremption est très rapide, les Japonais copient tout de suite, en dix jours seulement.

Tu gardes donc le souvenir d’une période créative très intense, quelles sont les rencontres qui t’ont le plus marquée ?
Durant cette période, j’ai connu Fellini que je n’ai pas rencontré à travers la mode mais parce qu’un de ses amis, un peintre qui avait un atelier à Via Margutta, a voulu faire mon portrait. J’allais à Via Margutta tous les matins jusqu’au jour où Fellini tombe sur le tableau et supplie son ami de nous présenter. On est devenu tout de suite très amis. Quand on allait manger au restaurant, Fellini aimait faire des dessins de moi sur les serviettes en papier, j’en ai toute une collection, des dessins très osés de moi nue et gigantesque bien sûr! Comme tu sais, Fellini aimait les femmes très fortes. Sur un de ses dessins, il va jusqu’à imaginer qu’il m’escalade et crie «Vive mon impératrice!».

Tu es devenue la muse de Fellini.
On avait un rapport intellectuel, il avait une imagination débordante, il inventait des histoires, personne ne savait quand c’était vrai ou pas, et il était complètement incontrôlable. Quand il exagérait, je me taisais et tout de suite il s’excusait: «Ne le prends pas mal, c’était juste une vitellonata (une boutade)!».

Tu as connu Fellini durant les dernières années de sa vie. Il ne t’a jamais proposé un rôle ?
Quand il est mort, on a retrouvé des notes où il disait qu’il voulait que je sois la protagoniste principale de son prochain film. Étonnant, n’est-ce pas?

C’est grâce à Fellini que la maison Fendi a travaillé avec le cinéma ?
Non, pas du tout, les collaborations avec le cinéma partaient de l’entreprise, à part les films de Fellini on a fait tous les films de Visconti, on a habillé Silvana Mangano. Karl Lagerfeld est le plus grand styliste du monde, et très craint parce que très cultivé.

Tu as ensuite tourné la page de la mode sans aucun regret ?
Oui sans aucun regret, j’ai compris que l’art était plus important que la mode. Et quand, en 2001, mes sœurs et moi avons vendu nos parts, j’ai décidé de changer de vie, de me dédier à ma passion pour l’art que je nourrissais depuis que j’étais petite. La mode pour moi et mes sœurs c’était comme une drogue, un travail acharné, beaucoup d’énergie, et donc après la vente il n’était pas question de s’arrêter.

D’où vous vient cette passion commune pour l’art, à toi et tes sœurs ?
L’art a toujours été inhérent dans la famille, tout chez nous était fait en relation avec l’art. Bien avant la vente, quand on a inauguré le salon de Via Borgognona, on a renoncé au meilleur espace, à l’entrée, pour faire la librairie Franco Maria Ricci.

Après la vente, tu crées ta propre fondation à Rome.
J’ai fondé la «Fondation Alda Fendi – Esperimenti» en 2001, les premières années ont été fondamentales. J’ai acheté un espace à Piazza Venezia, une ex-typographie, et durant les travaux on a découvert le reste de la Basilique Ulpia que le monde entier cherchait, les Allemands, les Français… Personne n’avait réussi à trouver le bon emplacement, c’est une découverte dont je suis très fière. La Surintendance aux Biens Culturels nous a tout de suite ordonné de fermer pour manque de moyens financiers, mais le lendemain matin après une nuit blanche, j’ai appelé la Surintendance pour leur annoncer que ma fondation aurait assumé tous les frais des travaux. Les fouilles ont donc commencé, à ciel ouvert pour ne pas abîmer les superbes marbres anciens, un événement colossal. Des prémices inouïes pour une fondation! Raison pour laquelle ma fondation s’est tout de suite imposée comme une fondation importante.

Une fois les travaux terminés, tu nommes Raffaele Curi comme directeur artistique de ta fondation en 2004.
Oui, pour moi Raffaele représentait tout ce que l’art devrait être: jamais banal, hors du commun et rapide.

D’où le mot «Esperimenti» (expérimentations) dans le nom de ta fondation tel qu’il est légalement déposé.
Je pourrais enlever mon nom de la fondation, mais jamais le mot Esperimenti. Il indique la mentalité de Raffaele Curi, et c’est aussi un mot qui nous laisse une grande marge de liberté: rien de préétabli ni de délimité, on mise sur une recherche qui se renouvelle, où les objectifs changent.

Vous tenez, en fait, à éviter toute standardisation.
Exactement, pour Raffaele il ne doit pas y avoir de frontière entre art, théâtre et tout le reste. Ce qu’on fait avec la fondation doit rester inclassable.

Est-ce que la nouvelle Fondation comportera des changements au sein de votre politique artistique ?
Aucun changement, on ne fera que s’élargir, le nouveau siège dans le Palais du Vélabre sera très spacieux, le projet est dans les mains de Jean Nouvel qui laissera ainsi sa première signature à Rome. Les résidences d’artistes seront intégrées à la vie de la nouvelle Fondation: l’idée est de vivre à l’intérieur d’un musée, d’y habiter. Sans compter que, dans notre cas, le musée c’est aussi tout ce qui a autour du Palais, la Rome Antique, le Forum Romain qui a inspiré le concept du «repaire» cher à Jean Nouvel: l’art et l’histoire de l’art comme un refuge. (…)

(…) Est-ce que ta fondation est en compétition avec les Fondations Prada, Vuitton ?
Ce sont des fondations qui investissent beaucoup d’argent dans l’art mais qui visent en priorité un retour commercial. Ce n’est pas mon cas, je fais du mécénat pur, mon amour pour l’art est au-dessus de tout. (…)

Propos recueillis par Raja El Fani,

Retrouvez l’intégralité de l’interview dans le numéro 06 d’INFERNO papier, à paraître fin décembre.

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Photo 1 : Jean Nouvel et Alda Fendi, crédit Fondation Alda Fendi – / 2- Le Palais du Vélabre en travaux / 3 : Alda Fendi devant un Suaire de Kounellis / 4 : Alda Fendi et Raffaele Curi / 2, 3 & 4 : crédits R. El Fani

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