AGNES NEDREGARD, « PERFORMANCE WORKS: THE BIG TOE », PALAIS DE TOKYO

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Agnes Nedregård, Performance Works: The Big Toe / Lancement de livre et performance au Palais de Tokyo / 24 février 2016.

A l’occasion de la sortie en France d’un livre dédié à son travail performatif, l’artiste norvégienne Agnes Nedregård investissait Le Point perché du Palais de Tokyo. Au programme, une intervention live, une mise en contexte théorique avec des chercheurs français et norvégiens rompus à l’exercice de la conférence performative, ainsi qu’un dj set avec un invité descendu directement de Bergen.

Les spectateurs sont encouragés d’emblée à prendre des photos, à changer de place et à parler, une façon pour l’artiste de miner les contraintes du dispositif frontal. D’étranges regroupements d’objets pointus, abstraits, à la frontière de l’organique et du minéral, évoquant à tour de rôles des stalagmites ou des colonies de polypes, ponctuent l’espace en lui conférant une certaine indétermination. Si la présence magnétique d’Agnes Nedregård focalise les regards, la théâtralité a priori évidente de la proposition est subtilement mais tenacement déstabilisée, augmentée, déplacée, par les interventions répétitives, inscrites dans la durée de ses deux collaborateurs et membres du collectif Alt Går Bra, qui détournent toute orientation unilatérale de l’attention, ajoutent de nouvelles strates d’interprétation et ouvrent de considérables extensions imaginaires.

L’artiste norvégienne excelle dans la science hautement intuitive de la mise en rapport des éléments hétéroclites. Souvent dans son travail, brillamment illustré par l’ouvrage Agnes Nedregård, Performance Work : The big toe, édité par Branko Boero Imwinkelried, les objets, fragments, prothèses et autres accessoires composent avec une corporéité placée sous le signe de la contrainte, de l’effort, du devenir improbable et sans cesse réinventé des formes spéculatives. Les deux baguettes de percussion aux surprenantes propriétés élastiques qu’elle manipule en ouverture de la performance au Palais de Tokyo s’apparentent à une telle démarche de mise en rapport d’une visibilité indéniable avec une certaine musicalité intrinsèque, tenue, abrupte des gestes. Il y a d’abord ce bruit métallique, abrasif de la pierre sur la lame d’une faucille, puis le son précis de l’air fendu par le métal aiguisé dans des mouvements énergiques et assurés. Oscar Mac-Fall, un comparse du collectif Alt Går Bra œuvre hors-cadre et son action donne de l’épaisseur et une certaine texture acérée, décapante à l’atmosphère partagée. L’expérience de la temporalité se construit en filigrane, se replie et se recompose, exhibe et dérobe ses multiples strates, à l’image de cet étrange objet éditorial à configuration variable que de son côté, Branko Boero Imwinkelried, lové dans une parcelle mineure du champ visuel, manipule inlassablement.

Le corps de la performeuse devient à la fois instrument et caisse de résonance d’une composition sonore diffuse que l’ampli situé à proximité de spectateurs promet de porter à saturation. Les pas d’Agnes Nedregård martèlent désormais un rythme martial, trop régulier, inquiétant. Les objets pointus et blancs auparavant regroupés au sol, enfilés au bout des bras, transforment ceux-ci en moignons, leur ôtent la capacité haptique, de toucher, altèrent ainsi la possibilité d’appréhender l’environnement, court-circuitent ou mettent à mal le contact. Ce contact même – la proximité, l’effleurement, une manière légère et ludique de bousculer, de déplacer, de mettre en mouvement – s’affirmait en tant que solution efficace pour atténuer la suprématie du regard dans Vertigo of the Mind (2013), pièce majeure de l’artiste, énorme réserve de sensations tactiles et d’affects indicibles partagés, qui constitue le contre-champ de la proposition présentée au Palais de Tokyo.

L’entrave est l’un des tropes privilégiés de la performeuse. Sous des apparences que certains pourraient rapprocher des numéros du Cabaret Voltaire, derrière une gestuelle passablement burlesque, s’affirme une problématique liée au corps contraint, qui pousse l’exploration de ses propres possibilités dans ses derniers retranchements, qui interroge de manière physique et tente d’habiter des volumes abstraits et hybrides, des déplacements animaux ou des articulations inanimées, architecturales. La tension s’accumule. Cette large bande élastique qui conditionne et perturbe le mouvement et délimite une sorte de moule ou chrysalide, tout en intensifiant l’urgence des possibles, lâche brutalement, dans un fracas cinglant, libérateur.

Une dernière image ponctue la proposition présentée au Palais de Tokyo : Agnes Nedregård nous regarde, derrière la table de travail, figure tutélaire, hiératique et en même temps facétieuse, Escamoteur tout droit descendu de la peinture de Jérôme Bosch, travaillant au delà des objets – certains de ses accessoires restent d’ailleurs abandonnés au sol – les potentialités, les sens et les sensations.

Smaranda Olcèse

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Agnes Nedregård, Performance Works : The Big Toe. Photos : Eric Merour

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