ENTRETIEN : OLIVIER DE SAGAZAN, « ÊTRES CHAIR », SAINT NAZAIRE

ENTRETIEN : Olivier de Sagazan, Êtres chairs

Olivier de Sagazan propose sa vision de la chair à la galerie des Franciscains à St Nazaire, jusqu’au 24 mai. Mise en lumière de Laurent Fallot et création sonore Christophe Havard.

« Où maintenant ?
Quand maintenant ?
Qui maintenant ? »
C’est peut-être ces questions de Beckett auxquelles il tente sans fin de répondre.
En premier lieu la naissance, la vie en ce qu’elle a de plus organique, Traduite en triptyque et paradis organique, tissus anatomiques, l’histoire du vivant se disloque et se met en scène. Jusqu’à terminer par la fin, la mort, qui s’avère une autre renaissance.

Avec toute cette argile déployé dans la Galerie la vie prend forme, une herbe tendre prendre le pas sur ce qui n’était qu’une légère couche d’argile, des fleurs poussent à partir de ventre terreux disloqués. Ni humains, ni animaux vraiment, les organismes imaginés par Olivier de Sagazan prennent vie. Là une carotte, ailleurs des pâquerettes, des mauvaises herbes, la vie indisciplinée, curieuse, en perpétuelle métamorphose.

Des corps coupés en deux que le spectateur est invité à « traverser ».
Terre et eau, herbe et feu.
L’anatomie fragile prise dans le labyrinthe de l’évolution.
Posée aux yeux du naturel et de la conscience du cœur, du sensitif, de l’existence.
Décortiquer, contorsionner
L’écrin de l’être
Trouver la chair
Et en démordre
La cueillir
Pour y faire naître
Encore
L’autre chair qui sommeille et qui fleurit un peu partout
La fleur indocile d’un espoir urgent, incontrôlé,
Du bonheur de tendre, de palper et d’essayer de comprendre
Ou d’y voir quelque chose dans l’espace du corps
Un cœur insoumis
Prêt à se nourrir
S’étoffer et s’inventer
Un festin de cadavre
Vrombissant de vie

INFERNO : Tu avais cette exposition en tête depuis longtemps ?
Olivier de Sagazan : J’avais cette exposition en tête mais rien n’était sûr, c’est à partir de Novembre dernier que la mairie à confirmer la possibilité d’une exposition à la galerie des Franciscains. Je me suis interrogé sur l’axe que j’avais donné à mon travail, je me suis rendu compte que depuis vingt ans, vingt-cinq ans, je travaillais essentiellement sur le corps humain et que malgré tout, ce qui m’intéressait c’était la question de la vie et ce qui fait le cœur du vivant ; c’est-à-dire la sensibilité. Je me suis dit que si c’est la vie qui m’intéresse pourquoi me cantonner aux êtres humains ? Et ne pas aller un peu du côté des animaux, des végétaux ? C’était pour moi une découverte, on est bien plus libre quand on fait un animal, c’est tellement loin de notre ressenti, de ce qu’on peut imaginer, alors on peut tout imaginer. Qu’est ce que le devenir-animal d’un chien ? Qu’est ce que être chien ? Poisson ? Oiseau ? Alors la défiguration va de soi, on est tout de suite dans un monde tellement étranger, ça permet une démesure.
Dans cette direction, j’ai fait une série de grands tableaux, de triptyques, sur des prairies, sur des bois, qui ont été un grand bonheur. Je pars avec une liberté totale, j’étale ma terre partout, de l’herbe, très rapidement un paysage se dessine, c’est étonnant et excitant parce que tu réalises que c’est autant le tableau qui t’appelle que toi qui a semé des choses dessus, il y a une sorte de bipôle qui est assez enivrant, c’est un voyage.

La Transfiguration est une performance de défiguration, de métamorphose, où l’artiste pendant le vernissage de son exposition défit les codes de sa corporalité et de sa sensibilité pour se retrouver dans toutes. Traduire un épuisement de la nature humaine, animal, cellulaire, un partage de la condition existentielle à l’aide de la peinture, de l’argile et de son corps. Expérience transcendante qui met à cœur l’explosion du soi et le pluralisme du je. Cet exercice est pratiqué depuis de nombreuses années par Olivier de Sagazan, il le partage aussi à travers des Masterclass et développe dans cette pratique une insatiable recherche sur le ou les corps et leurs genèses tout en articulant autour de cela une relation avec le spectateur et le présent.

La dernière fois que l’on s’est rencontré, je sais que tu partageais cette expérience de Transfiguration avec des groupes; est-ce que tu as continué dans ce sens là ?
Olivier de Sagazan : Oui, j’ai fait des Masterclass avec des élèves ici ou là, justement à Palerme, dans une magnifique ancienne église, le Spasimo, on y a reproduit la cène. Une grande tablée avec douze personnes, qui représentent les douze apôtres, avec le christ. Là, on ne se partageaient pas du pain, mais de la terre et petit à petit prenait place une défiguration. Chacun commençaient à travailler sur lui même puis défigurait l’autre, tout un jeu d’interaction, visible sur internet.

Pour lutter contre la montée du Front National, l’artiste avait déjà en 2014 aboyé pendant 7 heures devant un bureau de vote de Saint-Nazaire, cette année il a réitéré l’expérience à Paris sous l’arche de la défense et aboyé pendant 3 heures. Afin de réveiller les consciences, avant le second tour des élections.

Qu’est ce qu’on ressent lors d’un acte comme celui-ci ?
Olivier de Sagazan : J’avais en moi cette idée d’une 100 aine d’hommes chiens aboyant devant l’arche de la Défense, lieu cristallin symbolisant la finance, cela aurait pu faire une image absurde magnifique type dadaïste, malheureusement personne n’est venu et jai aboyé pendant 3 heure seul.

Quelles questions cherches-tu à poser, où quelles réponses évoques-tu ?
Olivier de Sagazan : Ce sont des réponses et des questions qui ne sont pas d’un ordre conceptuel, de la même manière quand Rembrandt fait un portrait, il ne cherche pas à répondre à la question explicitement, qui suis-je ? En attendant, en se représentant de cette façon là et en réussissant à capter son grain de peau, son regard, son petit sourire, etc…Il répond en partie à cette question, pas avec des mots, mais avec une résonnance, un timbre, de la lumière, un son presque.
Mes questions, ce sont toujours les mêmes, la question de l’Innommable (Beckett), la question de la logique du vivant, de la sensibilité, de l’individuation.. Qu’est ce que la sensibilité ? La sensibilité, semble-t-il, apparaît avec la vie, c’est ce moment ahurissant ou tout à coup de la matière inerte en s’agglomérant, en se structurant d’une certaine façon, constitue un organisme qui devient une matière voyante. Donc, la matière inerte-aveugle, devient une matière mobile-voyante, c’est-à-dire sensible, ça devient de la chair, qu’est ce que ça veut dire ça ? Qu’est ce qui se passe réellement là dedans ?

Propos recueillis par Claire Burban

En résonance à cette exposition, un colloque aura lieu le samedi 13 mai 2017, au Lieu Unique de Nantes de 14h à 18h avec :
– Paul-Antoine Miquel, philosophe, Sur le concept de nature (Hermann, 2015)
– Ronan de Calan, professeur de philosophie université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Généalogie de la sensation (Honoré Champion, 2012)
– Jean-louis Deneubourg, biologiste FNRS, Self-Organization in Biological Systems (Princeton University Press, 2003)
– Albert Goldbeter, Au coeur des rythmes du vivant : la vie oscillatoire – Odile Jacob
– Olivier de Sagazan, artiste plasticien. Le fantôme dans la machine (Presses de l’Université d’Angers, 2005)
Médiatrice: Anaïs Rolez, Professeur d’histoire de l’art, école des beaux-arts de Nantes
http://olivierdesagazan.com/

Exposition ÊTRES CHAIRS crédit photo Olivier de Sagazan

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