FESTIVAL D’AVIGNON. « POINTS DE NON-RETOUR » : ALEXANDRA BADEA PARLE (BIEN) DE L’ALGERIE
FESTIVAL D’AVIGNON 2019. « POINTS DE NON-RETOUR (Quais de seine) » – Alexandra Badéa – Benoît 12 – Les 5, 6, 8, 9, 10, 11, 12 juillet 2019
Contrairement à Pascal Rambert, devenu maître dans le monologue fleuve, Alexandra Badéa revendique le dialogue comme un instrument politique et réussit, avec le deuxième volet de sa trilogie Points de non-retour une fiction-réelle d’un moment peu reluisant de notre Histoire de France.
Elle l’expose à travers deux dialogues parfaitement paritaires qui replacent les temporalités de l’action de l’Algérie coloniale à la France terre d’un accueil plus qu’ambigu. La force du projet de cette auteure d’origine roumaine convainc par son aspect très humain, servi par des comédiens qui ne passent pas toujours par le pathos pour nous toucher. L’écriture de Badéa évite les polémiques pour se concentrer sur l’Histoire qu’elle veut nous amener à entendre. Elle ne se perd pas dans des faits historiques pour ne se concentrer que sur la vie des gens ; et elle est de loin l’auteur contemporain qui sait parfaitement le faire.
Dans un espace tendu de blanc au lointain, trône une sorte de brancard sur pied et roulettes comme on en trouve dans des salles d’urgences médicales ou peut-être d’autres lieux de rétention et un fauteuil blanc. C’est le seul décor. Une femme entre. Elle tape le prologue. Elle plante le décor de l’action, comme on dit : « A partir de ce moment, vous devez assumer l’histoire de ce pays… » se rappelle Alexandra Badéa, elle -même récemment naturalisée française… et, de ce côté-là, des moments sombres, cachés, peu glorieux, on en a !
Va s’ensuivre des allées et venues entre la face du plateau ou resteront toujours ce brancard et ce siège et une sorte d’espace, de second plan. Deux dialogues, deux histoires complémentaires qui se croisent et s’entrecroisent. Elles vont apporter toute la densité à cette histoire et même si le systématisme d’une idée qui plaît au début fini par lasser, la force du propos, l’intensité du projet captivent et donnent tout son relief à ce Quais de seine.
On est au cœur de l’Histoire mais on est aussi dans une fiction sensible où l’empathie gagne… Alexandra Badéa ne fait pas de choix doctrinaires sur la situation de cette époque, mais elle annonce les conséquences : « ils ne t’accepteront jamais » dit l’un des personnages à son amant. Et de cette fracture, de cette guerre qui ne portait que le nom d’événements vont découler des malentendus qui sont encore au cœur des maux de notre société contemporaine quasi sans voie de résolution.
Un spectacle finalement très politique, avec une volonté de tracer deux histoires qui passionnent et touchent. On attend avec impatience le troisième volet !
Emmanuel Serafini