« L’IMPROBABLE » CABARET DE CURIOSITES : RODRIGO GARCIA AU PHENIX DE VALENCIENNES

« C’est comme ça et me faites pas chier » de Rodrigo Garcia dans le cadre du Cabaret de Curiosités / Scène Nationale de Valenciennes.
Envoyée spéciale à Valenciennes.

A Valenciennes, au théâtre Phénix a eu lieu un festival remarquable pour sa programmation éclectique et anti-conventionnelle : le Cabaret de curiosités. La programmation, novatrice et irrévérencieuse, a enchaîné théâtre, danse, musique, arts plastiques et arts numériques comme une turbine. Mais ce n’est pas la seule surprise que réserve ce théâtre. Le reste de la saison, d’énormes laboratoires de création, les Ateliers Nomades, y prennent place : ils consistent à inciter la population locale à s’investir artistiquement à un niveau amateur en compagnie de nombreux artistes tels que Christophe Huysman ou Romeo Castellucci.

Cette démarche installe un débat opposant la figure de l’amateur à celle du consommateur quant à leur rapport respectif à l’œuvre d’art et à la manière d’y consacrer du temps. Cette dynamique permet de s’émanciper vis-à-vis de la culture telle qu’elle est produite aujourd’hui. Il s’agit de sortir de l’événementiel et de développer, sur le long terme, un espace dédié au processus artistique. Il s’agit bien d’une démarche politique où l’autre est partie de l’œuvre et au centre du processus de création. La barrière symbolique, entre le public et l’artiste, tend à se disloquer, l’artiste retrouve une place spécifique dans la cité, autre que celle de marchand de biens.

Le thème phare de cette huitième édition du Cabaret est l’Improbable. Pourquoi choisir cette thématique et que sous-entend-elle ? Nous avons demandé au directeur du Phénix, Romaric Daurier, de nous l’expliquer.

«[…] L’improbable : J’ai choisi de traiter cette thématique à la veille des élections pour s’interroger sur ce qui échappe à la probabilité dans la sphère du politique. Nous sommes en train de vivre un temps que certains appellent le temps des experts, où la politique est devenue très scientifisée, et où l’on pense pouvoir s’approcher du devenir d’une communauté par l’expertise. On prend, par exemple, des décisions sur l’émission d’un service publique par les fréquentations et par toute une série d’analyses.

Et pourtant, au cœur de ça, il reste une partie d’improbable irréductible entre l’intime et le politique […].

L’improbable, c’est explorer ce qui fait une faille entre l’intime et le politique. Ce n’est pas parce que l’on prévoit la montée du Front National, ou des extrémistes en Europe, et que l’on donne les chiffres, qu’on explique les mouvements intimes d’une communauté qui, à un moment donné, de manière irrationnelle, pense que le racisme est une solution. On a beau avoir des outils de sondage très perfectionnés, cela ne nous permet pas de réfléchir à une question comme l’extrémisme.

Donc l’idée, c’était de rassembler plusieurs artistes qui réfléchissent à cette thématique : Christophe Huysman, Rodrigo Garcia, Frédéric Laforgue […]».

Pour illustrer cette notion d’« improbable », nous avons choisi, en particulier, «C’est comme ça et me faites pas chier» de Rodrigo Garcia. Une pièce qui met en scène un aveugle monologuant sur les relations humaines, une femme représentant son altérité, et un musicien. Dans le respect de la tradition antique, l’aveugle, interprété par Melchior Derouet, a le don de la voyance ; il nous emmène sur un chemin froid et parsemé de questions existentielles. Sa voix douce illustre avec lucidité l’impossibilité de communiquer avec l’autre : « Je m’explique. Le seul homme prêt au dialogue est celui qui comprend la passion, les hontes et les omissions de l’autre et qui les assume au point de penser au fond de lui : persiste dans l’erreur, moi je te crois.»

Face à l’aveugle, il y a cette femme qui vit, s’agite, pour émerger du tumulte du monde. Dans une scène emblématique, elle se transmue en une sirène handicapée dont la nageoire caudale, deux cymbales attachées aux pieds, provoque un tintamarre lorsqu’elle se débat. Quant au musicien, sorti sur une croix faite de pelouse en feu – figure christique donc – joue une musique douce aux tonalités rock (souvent accompagnée des assourdissantes cymbales des deux autres acteurs).

La pièce est une fresque poétique: des images troublantes s’enchainent l’une après l’autre. L’autre devient une plante grasse, l’autre est une harpie capable de nous dévorer. Un groupe de crabes noirs enfermés dans une boite en plastique, filmés par une camera, est projeté sur l’écran du plateau. Est-ce un hymne à la misanthropie? Il ne faudrait toutefois pas imaginer qu’il s’agit d’un moment de poésie gratuite. Rodrigo Garcia en profite pour dénoncer la société du spectacle, et en particulier l’industrie culturelle et la consommation de ses produits ; le couple de comédiens ingurgite des livres et s’enthousiasme pour de petits animaux mécaniques à remonter.

La scène finale tempère quelque peu le sentiment envahissant de solitude. On y voit une femme nue étendue sur une plage improvisée, mouillée par des vagues bleues, cadrée par la camera comme une Venus de la Renaissance. La beauté : voilà ce qui touche indéfectiblement l’être humain.

Camilla Pizzichillo

« C’est comme ça et me faites pas chier » de Rodrigo Garcia s’est joué au Phénix de Valenciennes dans le cadre du « Cabaret de curiosités » qui s’est tenu du 13 au 17 mars 2012.

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cabaret de curiosités #8 > l’improbable > teaser from lephenix on Vimeo.

expresso > 260 | spécial cabaret de curiosités #8 from lephenix on Vimeo.

Visuels : Christian Berthelot

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